Titre original : « Le veto des Etats-Unis sur l’admission de la Palestine comme Etat membre des Nations Unies : quelques réflexions ». Texte rédigé par le professeur Nicolás Boeglin, Faculté de droit, Université du Costa Rica.


Le 18 avril, les États-Unis ont opposé leur veto à un projet de résolution visant à recommander l’adhésion de la Palestine à l’Assemblée générale des Nations unies (voir déclaration officielle des Nations unies).

En ce qui concerne l’admission de la Palestine, le projet de résolution assez simple, présenté par l’Algérie, se limitait à deux phrases simples (voir texte).

La simplicité du texte est due au fait qu’il s’agit d’une procédure utilisée chaque fois qu’une entité étatique demande à devenir membre des Nations unies.

La dernière fois que cette procédure a été utilisée, c’était pour intégrer le Sud-Soudan à ce titre en 2011 : une première recommandation du Conseil de sécurité à l’Assemblée générale a été suivie d’une résolution de cette dernière votée en faveur de l’intégration du Sud-Soudan en tant que nouvel État membre des Nations unies (voir la résolution de l’Assemblée générale A7Res/65/308 du 25 août 2011).

Vote enregistré en bref

Dans le cas du projet de résolution recommandant l’admission de la Palestine par le Conseil de sécurité, voté le 18 avril, le vote enregistré a été le suivant : 12 voix pour, une voix contre (États-Unis) et deux abstentions (Suisse et Royaume-Uni).

Pour l’Amérique latine, l’Équateur et la Guyane ont voté pour.

En Asie, il convient de noter que le Japon et la Corée du Sud n’ont pas succombé aux fortes pressions américaines et ont également voté en faveur du projet de résolution.

D’une manière ou d’une autre, le leadership des États-Unis dans le monde continue de décliner et la situation dramatique à Gaza depuis la soirée/nuit du 7 octobre 2023 y contribue grandement.

Une fois le veto des Etats-Unis rendu public au Conseil de sécurité, plusieurs Etats ont officiellement exprimé leur regret face à ce nouvel échec dans le long et fastidieux processus d’admission de la Palestine comme membre des Nations Unies : voir, parmi beaucoup d’autres, le communiqué officiel de Bolivie, de Chile, ou de Mexique, ou encore le communiqué officiel émis par les appareils diplomatiques des Émirats arabes unis et de Norvège. La diplomatie mexicaine a encore insisté dans une déclaration officielle publiée le 25 avril (voir texte).

D’autres Etats ont envoyé le chef de leur diplomatie à New York pour soutenir la démarche palestinienne, en s’adressant personnellement au même Conseil de sécurité quelques heures avant le vote du 18 avril (voir intervention du ministre brésilien des affaires étrangères, ainsi que intervention du ministre colombien des affaires étrangères en charge et communiqué officiel de l’appareil diplomatique colombien).

L’intervention du chef de la diplomatie espagnole (voir text) devant le Conseil de sécurité le 18 avril augure d’une reconnaissance rapide par l’Espagne de la Palestine en tant qu’État, qui pourrait bien être suivie par d’autres États membres de l’Union européenne (UE). Récemment, un ancien diplomate israélien a été cité dans une publication espagnole :

« El reconocimiento internacional del Estado de Palestina y su incorporación como miembro de pleno derecho de la ONU deben preceder a un eventual proceso de paz con Israel y ser independientes de su éxito o fracaso. Los dos protagonistas de las negociaciones deben gozar del mismo reconocimiento internacional » (Nota 1). 

Rappelons que le dernier État de l’UE à avoir reconnu la Palestine comme État a été la Suède, en octobre 2013 : un geste que nous avions eu l’occasion d’analyser à l’époque, rappelant ce qui avait été officiellement soutenu par Israël lorsque le Costa Rica avait reconnu la Palestine comme État en 2008 (Note 2).

Bref contexte

Le 2 avril, l’État de Palestine a entamé le processus de son admission en envoyant une demande formelle au Secrétaire général faisant référence à son souhait de réactiver sa demande d’admission en tant qu’État membre : une initiative similaire faite en 2011, à laquelle le Conseil de sécurité n’a pas donné suite depuis (voir texte de la lettre du 2 avril 2024 et demande formelle de septembre 2011).

On peut considérer que, au moins en partie, la motivation de la Palestine à reprendre cette demande de longue date non résolue était due au profond malaise causé par la principale représentante des États-Unis lorsque le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2728 le 25 mars 2024 : dans l’explication du vote américain (une abstention), elle a surpris beaucoup de ses homologues à l’intérieur du Conseil de sécurité (et beaucoup d’autres à l’extérieur. …) en faisant référence au caractère « non biding » de cette résolution (Note 3).

Une résolution du Conseil de sécurité appelant à un cessez-le-feu à Gaza, adoptée après trois tentatives infructueuses dues à trois vetos américains, est-elle non contraignante ? Comment cela se fait-il qu’elle ne soit pas contraignante ? C’est ce que l’on peut lire. Cette position inhabituelle du plus haut représentant américain au siège de l’ONU à New York montre le degré de créativité dont font preuve les diplomates américains pour protéger Israël à Gaza. Un juriste chilien de renom n’a pas hésité à qualifier la position américaine de véritable « leguleyada » (Note 4). Le 26 avril 2024, un universitaire a publié un article répondant à un article précédent qui insinuait – de manière plutôt douteuse, sur la base de données erronées – que la position américaine avait un certain fondement dans la pratique du Conseil de sécurité (Note 5).

Face à la vague de répudiation généralisée provoquée, et à la confirmation par la Cour internationale de justice (CIJ) de nouvelles mesures conservatoires à l’encontre d’Israël adoptées le 28 mars (aussi ignorées par Israël que celles déjà ordonnées le 26 janvier 2024), les autorités palestiniennes ont choisi de réactiver le processus d’admission en suspens depuis 2011. Après une première demande formelle déposée le 2 avril auprès du Secrétaire général de l’ONU, des consultations ont été lancées au plus haut niveau : le 9 avril, le Groupe arabe à l’ONU, le Mouvement des non-alignés et l’Organisation de la coopération islamique (OCI) ont conjointement soutenu la demande d’adhésion de la Palestine à l’ONU (voir lettre lettre collective).

Le 15 avril 2024, un bref rapport du comité d’admission de l’ONU a noté les réserves d’un État sans le nommer en particulier (voir rapport).

Récemment, un câble diplomatique confidentiel ayant fait l’objet d’une fuite (voir cable) a révélé le type de pression exercé par les États-Unis sur les autorités diplomatiques équatoriennes, en vue du vote de ce même projet de résolution au Conseil de sécurité. Détail intéressant – apparemment ignoré par certains – l’Équateur a formellement reconnu la Palestine comme État depuis le 24 décembre 2010 (voir note de la BBC).

On peut supposer que d’autres membres du Conseil de sécurité ont reçu une pression similaire : son effet a été plutôt limité, étant donné que l’Équateur, ainsi que 11 autres États, ont voté en faveur du texte, confirmant ainsi la perte de leadership susmentionnée.

Portée du veto des États-Unis

Ce nouveau veto solitaire des Etats-Unis au Conseil de sécurité le 18 avril confirme l’isolement total des Etats-Unis, que le drame indicible de Gaza depuis l’après-midi/soirée du 7 octobre rend encore plus aigu compte tenu du soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël ; tandis que les abstentions du Royaume-Uni et de la Suisse soulèvent toutes deux des questions très valables.

Il est très probable que, face à ce (nouveau) veto, certains États choisiront de soumettre un projet de résolution à l’Assemblée générale des Nations unies (193 États membres), afin de souligner davantage la position isolée des États et d’Israël.

Il y a quelques années, c’était le cas lorsque, seul, le 19 décembre 2017, à l’occasion d’un texte proposé par l’Égypte condamnant le transfert des ambassades dans la ville de Jérusalem (voir link au document S/2017/1060), le vote enregistré a été de 14 voix pour et une seule voix contre (États-Unis) : voir le compte rendu S/PV.8139 (page 3).

Pour ce nouvel exercice à l’Assemblée générale de l’ONU, les États-Unis et Israël pourront compter sur le noyau dur de la « coalition » qui accompagne habituellement les États-Unis et Israël à l’Assemblée générale dans ce type de concours, à savoir le Canada, les Îles Marshall, la Micronésie, Palau, Nauru, et l’Argentine méconnaissable à partir de décembre 2023, ainsi qu’un État d’Amérique centrale : Canada, Îles Marshall, Micronésie, Palau, Nauru, qui pourraient être rejoints par l’Argentine méconnaissable à partir de décembre 2023, ainsi que par un État d’Amérique centrale.

Concernant la résolution condamnant les transferts d’ambassades à Jérusalem par l’Assemblée générale, le vote enregistré le 21 décembre 2017 (voir communiqué de presse de l’ONU) a donné les chiffres suivants : 128 voix pour, 35 abstentions, 9 voix contre (la “coalition” susmentionnée a été rejointe par le Guatemala, le Honduras et le Togo, le Canada s’étant abstenu) et 26 délégations ayant opté pour le “No Show”. Le tableau des votes du 21 décembre 2017 est reproduit ci-dessous :

Analysez les répercussions du veto des États-Unis sur l'admission de la Palestine en tant qu'État membre de l'ONU.

Notons que le triste spectacle de la diplomatie américaine au Conseil de sécurité avec un vote de 14 voix pour et un seul veto américain ne doit pas être compris comme un monopole de l’administration (également triste…) Trump. Ce même échec diplomatique américain a été observé lors de la réunion du Conseil de sécurité du 18 février 2011, lorsqu’une résolution a été proposée condamnant avec véhémence la colonisation israélienne illégale des territoires palestiniens occupés : voir le compte-rendu de la réunion S/PV/6484 (page 3). Dans son explication de vote du 18 février 2011, la représentante des Etats-Unis s’est contentée de noter ce qui suit (page 5) :

Si bien coincidimos con nuestros colegas miembros del Consejo, y de hecho, con el mundo entero, en cuanto a la insensatez y la ilegitimidad de la continuación de las actividades de asentamiento de Israel, consideramos que es poco prudente que el Consejo intente resolver las cuestiones fundamentales que dividen a israelíes y palestinos (sic.).

Reconnaissance de la Palestine en tant qu’État

Au-delà des exactions répétées d’Israël sur le territoire palestinien que la diplomatie étatsunienne s’est employée à protéger en usant de son droit de veto au Conseil de sécurité, sur les 193 États membres actuels de l’ONU, 140 reconnaissent déjà la Palestine comme un État et entretiennent des relations officielles d’État à État avec les autorités palestiniennes.

En Amérique latine, le Panama se distingue (à sa manière) comme le seul État qui ne reconnaît pas encore formellement la Palestine en tant qu’État : depuis août 2014, ses autorités « évaluent » la possibilité de reconnaître la Palestine en tant qu’État (voir note dans l’édition d’août 2014 de l’Étoile du Panama).

Il convient de rappeler que la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État par le Costa Rica en février 2008 a réactivé le soutien à la Palestine en tant qu’État en Amérique latine et dans d’autres parties du monde. Après la reconnaissance du Costa Rica, l’Amérique latine a répondu à cet appel en faisant un geste similaire en faveur de la Palestine. Dans l’ordre chronologique, il s’agit du Venezuela (avril 2009), de la République dominicaine (juillet 2009), de la Bolivie, du Brésil, de l’Équateur et du Paraguay (décembre 2010), du Pérou et du Chili (janvier 2011), de l’Argentine (février 2011), de l’Uruguay (mars 2011), du Salvador et du Honduras (août 2011), ainsi que du Guatemala (avril 2013). En août 2018, la Colombie a procédé à la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État, le dernier État à le faire dans la région latino-américaine. En dehors de la région, il est frappant de constater que, juste après le Costa Rica, le Liban a reconnu la Palestine en tant qu’État en novembre 2008 et que la Syrie l’a fait plus tard, en juillet 2011.

Depuis novembre 2012, l’Assemblée générale des Nations unies a accordé à la Palestine le statut d’« État observateur non membre » : ce statut a permis à la Palestine de signer et de ratifier un grand nombre de traités internationaux sous l’égide des Nations unies, dont le Statut de Rome de 1998 qui a créé la Cour pénale internationale (CPI). En cas de doutes et de pseudo-arguments fallacieux (qui ne manquent jamais…) sur la question de savoir si, d’un point de vue juridique, un Etat non-membre des Nations Unies a cette capacité juridique, il suffit de rappeler que la Suisse n’était pas membre des Nations Unies jusqu’au 10 septembre 2002.

Les États-Unis face à l’absurdité d’Israël à Gaza

Le veto des Etats-Unis le 18 avril 2024 restera probablement dans les mémoires comme une grave erreur d’appréciation de la part de la diplomatie états-unienne : une abstention aurait permis au texte de passer, comme cela s’est produit le 25 mars pour une résolution exigeant un cessez-le-feu à Gaza (résolution contraignante, malgré les déclarations états-uniennes inhabituelles). Sur le plan intérieur, elle aurait contribué à faire baisser la tension sur les campus aux Etats-Unis : en opposant leur veto à l’admission de la Palestine aux Nations Unies, les Etats-Unis ont exacerbé la mobilisation déjà forte des étudiants et des enseignants sur plusieurs campus américains (voir ce long report publié en Israël dans le Magazine+972). Récemment, en réponse à la répression policière menée sur plusieurs campus universitaires ces derniers jours, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits du peuple palestinien a publié un message sur ses réseaux sociaux (voir lien) :

What lessons are Western universities and governments imparting to their young citizens and students when they attack the very values and rights that are said to be foundational to Western societies?

En retour, cette grave bévue diplomatique américaine est susceptible d’encourager certains Etats qui ne l’ont pas encore fait à reconnaître la Palestine comme Etat : la Barbade l’a annoncé 48 heures après le veto (voir note de Caribbean News), la Jamaïque l’a annoncé le 22 avril (voir communiqué officiel), et d’autres Etats devraient prendre la même décision dans les semaines à venir, en signe de leur profond rejet de la décision des Etats-Unis.

De leur côté, les autorités palestiniennes peuvent décider de considérer ce veto des Etats-Unis comme un nouveau caprice israélien auquel l’appareil diplomatique étatsunien se prête, et prendre les décisions qu’elles jugent les plus appropriées : au cours des derniers mois, Israël a perdu toute crédibilité et même ses plus proches alliés dans la société étatsunienne et dans certaines parties de l’Europe prennent leurs distances par rapport aux autorités israéliennes actuelles.

Un récent communiqué conjoint d’experts des Nations unies – très peu rapporté et référencé dans les grands médias internationaux – dénonce la destruction délibérée du fragile réseau éducatif et universitaire existant, ainsi que la destruction délibérée du patrimoine culturel et historique de Gaza (voir communiqué officiel des Nations unies du 18 avril), en notant que :

« These attacks are not isolated incidents. They present a systematic pattern of violence aimed at dismantling the very foundation of Palestinian society,” the experts said« .

A la faible diffusion de ce type d’information dans les médias internationaux et dans la presse américaine et européenne, il faut ajouter un autre élément devenu évident ces derniers jours : les efforts récents du New York Times pour éviter l’utilisation de certains mots dans les articles de ses journalistes lorsqu’ils écrivent sur le drame de Gaza (voir article à ce sujet le 15 avril dans The Intercept,dont nous vous recommandons la lecture). Ces efforts mettent en évidence le type de relais dont disposent les cercles pro-israéliens dans les médias grand public aux États-Unis (et très probablement dans d’autres organes d’information ailleurs).

Nous pouvons également recommander la lecture de cet article publié dans Truthout, intitulé « Israel Has Formed a Task Force to Carry Out Covert Campaigns at US Universities » sur le réseau qu’Israël a entretenu dans les universités des États-Unis afin de freiner et de stigmatiser les manifestations de sympathie et de solidarité avec la Palestine de la part des étudiants et du corps professoral américains. À cet égard, il convient de se demander si ce type de réseau était uniquement destiné aux universités américaines ou s’il s’étend également à d’autres centres universitaires dans diverses parties du monde.

Entraîné par Israël, le soutien inconditionnel des Etats-Unis depuis l’après-midi/soirée du 7 octobre contribue à saper une grande partie de la crédibilité des Etats-Unis dans diverses parties du monde : des doutes raisonnables sont (et seront) soulevés chaque fois que leurs représentants invoqueront à l’avenir la défense des règles existantes dans l’ordre juridique international et les valeurs et principes qui les sous-tendent.

Les États-Unis opposent leur veto à l’ONU pour la Palestine

En outre, les abstentions du Royaume-Uni (prévisible) et de la Suisse (surprenante) menacent maintenant d’avoir un effet très similaire, en particulier pour le Royaume-Uni, qui continue à fournir des armes à Israël, tout comme les États-Unis et l’Allemagne. Et ce, malgré les nombreuses informations corroborées par l’ONU sur l’utilisation d’armes par Israël contre la population civile palestinienne à Gaza.

Il convient de noter que depuis la soirée/nuit du 7 octobre 2023, l’offensive militaire israélienne à Gaza n’a pas atteint un seul des objectifs militaires invoqués pour la justifier : les hauts dirigeants de l’aile militaire du Hamas à Gaza continuent d’envoyer des instructions à leurs subordonnés, la capacité militaire du Hamas continue de résister avec des roquettes artisanales envoyées en Israël avec une certaine fréquence depuis Gaza et des attaques contre des militaires israéliens (déjà au nombre de 259 tués et 1582 blessés au 19 avril 2024), tandis que les citoyens israéliens capturés par le Hamas le 7 octobre se cachent toujours quelque part à Gaza avec leurs gardiens. Le dernier rapport de l’ONU disponible (au 19 avril 2024) fait état, au 7 octobre 2023, de plus de 34 000 personnes tuées à Gaza et de près de 77 000 blessés.

Face à l’échec retentissant de cette opération militaire israélienne, la tentative d’Israël de détourner la pression médiatique et internationale vers d’autres scénarios au Moyen-Orient est plus qu’évidente. Nous avons eu l’occasion d’en avertir dès le mois de mars, comme plusieurs autres analystes : voir vidéo de l’activité tenue à l’UCR le 13 mars 2024, intitulée « Histoire et désinformation : perspectives critiques sur le conflit Gaza-Israël », min. 1:43:30 et vidéo de cette autre activité organisée par le Tecnológico de Costa Rica (TEC) à Cartago le 19 mars 2024 intitulée « Gaza/Israël : depuis quand une attaque, aussi violente soit-elle, justifie-t-elle un génocide ».

L’académie et ses espaces face au traitement douteux de la presse costaricienne

Toujours sur le plan académique, il a été récemment rapporté que le recteur de l’UCR a décliné une invitation du plus haut représentant d’Israël au Costa Rica (voir note dans le Semanario Universidad intitulé « Rectoría rechaza reunión con Embajada de Israel hasta que no haya cese al fuego » du 14 mars 2024). Moins d’un mois plus tard, le rectorat de l’UCR a indiqué limiter considérablement les contacts avec l’ambassade d’Israël (voir note du 10 avril 2024). Aucune décision similaire n’a été rendue publique par d’autres recteurs d’universités publiques (ou privées), et on ne sait pas si elles ont fait l’objet de démarches similaires de la part des représentants d’Israël au Costa Rica. On ne connaît pas non plus de faits qui auraient soudainement incité l’ambassade d’Israël au Costa Rica à adresser une invitation spéciale au recteur de l’UCR.

Nous pouvons observer que, contrairement à de nombreuses autres universités costariciennes, l’UCR a offert différents espaces pour discuter de la situation à Gaza, l’un d’entre eux étant le forum susmentionné intitulé « Histoire et désinformation : perspectives critiques sur le conflit Gaza-Israël » (voir vidéo activité). Une autre activité a eu lieu le 22 mars (voir programme) et se poursuivra le 29 avril. Un programme radio tel que Desayunos de Radio Universidad (UCR) a récemment proposé une émission matinale dans son édition du 19 avril (voir link) dont l’écoute est recommandée (et dont le contenu, sauf erreur de notre part, n’a pas été reproduit de manière similaire dans d’autres médias radiophoniques universitaires costariciens depuis le 7 octobre 2023).

Probablement aucun autre portail universitaire costaricien ne dispose d’un article comme celui récemment publié sur le portail de l’UCR (voir text publié le 22 avril 2024 et intitulé « The Arab-Israeli Conflict in Historical Perspective »), qui conclut que :

Es urgente la presión internacional para detener lo antes posible esta demencial barbarie y lograr sentarse a negociar por verdaderos acuerdos de paz que también incluyan el respeto a los Derechos Humanos y la justicia política y social.

Le 17 novembre 2023, l’UCR a organisé un forum avec des intellectuels, notamment des poètes costariciens de renom, intitulé « Stop the genocide in Gaza ! Poésie et réflexion critique« (voir vidéo).

Le portail de l’UCR, dans sa section intitulée Expert Voice, nous a également permis de publier un texte d’octobre 2023 (voirlink) intitulé : « Attaque du Hamas depuis Gaza et “siège total” de Gaza annoncé comme réponse israélienne. Quelques notes du point de vue du droit international public ».

Les questions que nous pouvons nous poser sont les suivantes, après avoir fait référence à quelques-uns des nombreux espaces et activités d’information organisés depuis octobre 2023 : pourquoi l’UCR a-t-elle ouvert des espaces de discussion sur le drame vécu à Gaza et pourquoi les autres universités costariciennes ont-elles été si prudentes à ce sujet ? Quels sont les images, les articles, les opinions, les rapports sur Gaza qui circulent depuis le 7 octobre 2023 et qui motivent une unité académique à organiser un espace de réflexion au sein de l’UCR et qui, semble-t-il, ne sont pas connus des étudiants des autres universités costariciennes ?

En ce qui concerne l’information, et pour les professionnels de l’information costariciens, le traitement de l’information sur le drame de Gaza, il y a beaucoup d’aspects qui peuvent être analysés et beaucoup plus de questions qui peuvent être soulevées. Comme il n’y a pratiquement pas d’espace pour l’autocritique au sein de la profession journalistique costaricienne, les unités académiques qui forment les futurs professionnels de l’information au Costa Rica pourraient se concentrer sur le démantèlement du jeu sémantique auquel plusieurs médias se sont prêtés depuis le 7 octobre au Costa Rica, ainsi que de nombreux autres médias dans d’autres parties du monde.

L’absence de condamnation de l’assassinat délibéré de journalistes palestiniens à Gaza depuis le 7 octobre par les forces militaires israéliennes est un autre point d’interrogation qui persiste dans le temps. Récemment, lors de la remise officielle des prix à la jeune et talentueuse équipe de communicateurs de la série « Broken Plates » de l’UCR (voir aux quatre premiers chapitres), ses membres ont mis en évidence le lourd silence de la guilde des communicateurs sur ce que vivent les journalistes à Gaza : voir note de Semanario Universidad intitulée “”Alto al asesinato a periodistas’ piden ganadores con el-premio-de-periodismo » (‘Arrêtez l’assassinat des journalistes’ appel aux lauréats du prix de journalisme).

Au 23 avril, 97 journalistes ont été intentionnellement et délibérément tués à Gaza par Israël (voir rapport du Comité pour la protection des journalistes au 23 avril). À cet égard, l’échange de lettres et enfin la lettre rendue publique par le collectif Red de Solidaridad con Palestina – Costa Rica au Colegio de Periodistas de Costa Rica (COLPER), intitulée (voir texte) « No se mata la verdad matando periodistas » (On ne tue pas la vérité en tuant des journalistes) qui stipule que :

Como detalle revelador de la respuesta a nuestra acción, es que en ningún momento se nombra a Palestina ni a su pueblo que viene sufriendo un exterminio sistemático, transmitido en tiempo real por las propias víctimas.

La respuesta del Colper está dirigida a la compañera que firma por la Red de Solidaridad con Palestina, sin usar el nombre de la organización, sin usar siquiera el nombre del pueblo víctima ni el lugar de sus hechos. Podría interpretarse cual, si fuera parte de un breve intercambio epistolar entre una persona cualquiera y el Colegio, sobre un tema trivial cualquiera, al que no se concede la menor importancia, cuando realmente es una crisis en Derechos Humanos y Derecho Internacional donde es cercenado el derecho a la libertad de prensa, libertad de expresión y el derecho a la comunicación e información de la sociedad costarricense.

Le 26 avril 2024, on apprenait que le Liban avait officiellement saisi la justice pénale internationale pour plusieurs cas de journalistes et reporters tués à la frontière avec Israël, largement documentés (voir note par Human Rights Watch) : tant en ce qui concerne les 97 journalistes tués à Gaza que les journalistes tués par Israël sur le territoire libanais, le COLPER a persisté dans son silence.

Le détournement de l’attention des médias par Israël : un exemple récent

Au-delà des absences du syndicat des journalistes du Costa Rica, habituellement très prompt à réagir lorsque la liberté de la presse est menacée ou attaquée dans d’autres parties de l’Amérique latine (et de certaines salles de rédaction qui condamnent également avec véhémence les menaces, l’intimidation ou la mort de journalistes en Amérique latine), le détournement de l’attention des médias en tant que stratégie d’Israël a récemment été vérifié : cela s’est produit lorsque, quelques heures avant la lecture de la première ordonnance de la CIJ à La Haye le 26 janvier 2024, Israël a publié des accusations contre une douzaine de fonctionnaires de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) sur la base d’un « rapport de renseignement », les accusant d’avoir collaboré avec le Hamas le 7 octobre.

Au moment où nous écrivons ces lignes (26 avril), la Norvège, contrairement à d’autres États, a maintenu son financement à l’UNRWA, dans l’attente de « preuves solides » d’Israël pour suspendre sa contribution à l’UNRWA (voir communiqué de presse d’Al Mayadeen). Ce 22 avril 2024, un rapport de l’ONU concluant une enquête sur les allégations lancées par Israël contre le personnel de l’UNRWA (voir texte du rapport en tant que tel) déclare qu’Israël n’a pas fourni de preuves à l’appui de ces allégations en lisant (page 22) que :

The Israeli Ministry of Foreign Affairs informed that until March 2024, they had received staff lists without identification (ID) numbers. On the basis of the March 2024 list, which contained staff ID numbers, Israel made public claims that a significant number of UNRWA employees are members of terrorist organizations. However, Israel has yet to provide supporting evidence of this.

Nous renvoyons le lecteur à certains des premiers communiqués de presse faisant référence au manque de preuves fournies par Israël (voir note du The Guardian) ainsi qu’à ce communiqué de presse officiel des Nations Unies. Dix heures après The Guardian, le New York Times a également publié une note à cet effet.

L’absence de preuves fournies par Israël aux membres de l’organe d’enquête de l’ONU en près de trois mois d’accusations contre le personnel de l’UNRWA ne doit être vue que comme la confirmation d’une opération de communication de l’appareil d’État israélien en préparation de l’ordonnance qui sera lue par la CIJ le 26 janvier 2024.

Le 24 avril 2024, l’Allemagne a annoncé qu’elle reprenait sa contribution à l’UNRWA (voir communiqué de presse officiel et note du The Guardian), qu’elle avait suspendue suite aux allégations d’Israël.

En conclusion : la folie d’Israël à Gaza face à la justice internationale

Malgré la stratégie de diversion d’Israël (qui ne devrait plus faire grande impression) et le veto des Etats-Unis observé le 18 avril, la pression de la communauté internationale continuera à s’exercer sur Israël.

Et en particulier, les différents mécanismes juridictionnels prévus en cas de violation des règles de l’ordre juridique international régissant les relations entre deux Etats, qui sont pleinement applicables à la situation en Palestine.

Ces mécanismes, demandés par différents Etats face au drame indicible de Gaza, commencent à avoir un effet sur la situation dans le territoire palestinien occupé.

Depuis le 26 janvier 2024 (Note 6), une ordonnance de la CIJ indiquant les mesures conservatoires demandées par l’Afrique du Sud à Israël évoque le risque « plausible » de génocide à Gaza par l’appareil militaire israélien. Face à la défiance d’Israël, une deuxième ordonnance a été rendue par la même CIJ le 28 mars à la demande de l’Afrique du Sud (Note 7). Fait plutôt inhabituel depuis 1945, l’ancien président de la CIJ a accordé une interview à la BBC (voir vidéo) à propos de la première décision de la CIJ, qu’elle a lue en tant que présidente dans la majestueuse salle d’audience du Palais de la Paix à La Haye : nous avons demandé s’il existait un précédent pour qu’un ancien juge de La Haye donne son avis à la presse sur une ordonnance dans une affaire pendante devant la CIJ, sans pouvoir enregistrer nos collègues demandant un quelconque précédent.

En outre, la CIJ délibère actuellement sur la demande urgente de mesures conservatoires à l’encontre de l’Allemagne, présentée par le Nicaragua pour complicité de génocide à Gaza (Note 8). Le 26 avril, la CIJ a annoncé qu’elle lirait sa décision le 30 avril (voir déclaration officielle).

Dans des matières non plus contentieuses mais consultatives, les juges de la CIJ travaillent également depuis plusieurs semaines sur le futur avis consultatif demandé par une écrasante majorité lors d’un vote à l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2022 sur les effets juridiques de l’occupation israélienne prolongée du territoire palestinien (voir request). À noter que deux États latino-américains ont voté contre : le Costa Rica et le Guatemala. A ce propos, nous voudrions titrer nos réflexions sur un vote aussi déconcertant du Costa Rica publiées en février 2023 comme suit, en attendant depuis (sans grand succès…) une quelconque explication sur une position aussi malheureuse de la délégation costaricienne à l’ONU : « L’Amérique latine face à une demande d’avis consultatif de la justice internationale sur la situation en Palestine, brèves notes sur le vote inhabituel du Costa Rica contre » (Note 9). Début avril 2024, lors d’un autre vote (cette fois au Conseil des droits de l’homme des Nations unies), l’étrange abstention du Costa Rica a été suivie du silence de ses délégués pour expliquer leurs raisons à leurs homologues de Genève (voir note du média numérique Delfino.cr du 4 avril 2024) : la résolution adoptée demandait un embargo général sur les armes à destination d’Israël.

En ce qui concerne le Statut de Rome susmentionné et la justice pénale internationale, pas plus tard que le 18 avril 2024, une réunion urgente de hauts commandants politiques et militaires a été signalée en Israël sur la possibilité qu’un mandat d’arrêt soit délivré par le Bureau du Procureur de la CPI à leur encontre (voir note du Times of Israel,un média israélien habituellement bien informé, et cette autre note du même jour). Il convient de rappeler qu’en février 2021, une décision préliminaire de la CPI indique dans ses conclusions (voir text, page 60), que la Palestine est un État partie au Statut de Rome et que la CPI est parfaitement compétente pour examiner tout ce qui se passe dans le territoire palestinien occupé, sans exception d’aucune sorte, Gaza compris (Note 10).

Le 23 avril, les Nations Unies ont demandé une enquête internationale sur la découverte de fosses communes contenant des corps mutilés ou dont les organes ont été prélevés, situées autour de plusieurs hôpitaux de Gaza, et dont beaucoup ont été retrouvés les mains liées (voir communiqué de presse officiel) : nombre de nos chers lecteurs découvriront probablement cet appel collectif lancé par les Nations Unies en lisant ces dernières lignes.

Dans le rapport de l’ONU sur la situation à Gaza au 24 avril (voir link), on peut lire cette constatation :

on 24 April, the Palestinian Civil Defense announced that 324 bodies, including women, elderly persons and patients, have been recovered since 19 April, of whom only few were identified. The Government Media Office (GMO) in Gaza said on 22 April that some bodies were reportedly found with their hands-cuffed and stripped of their clothes. GMO added that the whereabouts of about 2,000 people believed to have been present at the hospital, when it was raided by the Israeli military on 14 February, remain unknown. Earlier this month, the Gaza Civil Defense reported that 381 bodies had been recovered from the area surrounding Al Shifa Medical Complex in Gaza city, and 10 bodies were reportedly discovered in front of the hospital’s surgery building on 15 April.

Texte partagé par Nicolás Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : [email protected]


Notes

Note 1 : Voir LIEL A., « El reconocimento español del Estado palestino puede marcar la diferencia », Portal del Instituto Real El Cano, édition du 10 avril 2024. Texte disponible ici.

Note 2 : Voir BOEGLIN N., « Sweden’s recognition of Palestine : assessment and prospects », Réseau international pour les droits de l’homme (RIDH), édition du 20 novembre 2014. Texte disponible ici. Une version française a également été publiée : BOEGLIN N., « La reconnaissance récente de la Palestine par la Suède : perspectives », Sentinelle, Bulletin de la Société Française pour le Droit International (SFDI), 30 novembre 2014. Texte disponible ici. Une version a également été publiée dans le portail juridique français Le Monde du Droit, édition du 1er décembre 2014 (texte disponible ici). Dans les deux publications en France, nous nous référons à l’argument officiel d’Israël lors de la reconnaissance de la Palestine par le Costa Rica en février 2008 :

La réaction israélienne à cette reconnaissance par le Costa Rica en février 2008 mérite d´être citée car elle réapparaîtra dans bien d´autres enceintes et discours officiels d´autres Etats et se lit ainsi. «Etablir des relations avec un Etat qui n´en est pas un compromet le développement d´accords définitifs entre Israéliens et Palestiniens, va à l´encontre de la Feuille de route, des activités du Quartette et d´autres efforts pour la paix. Ces agissements vont à l´encontre des accords, y compris ceux de la communauté internationale, et pourraient nuire aux efforts de paix entre les deux parties.

(Traduction libre de l´auteur: “Establecer relaciones con Estado que no existe compromete el desarrollo de los acuerdos definidos entre israelitas y palestinos, va en contra de la Hoja de Ruta, actividades del Cuarteto y otros esfuerzos para la paz. Estos acontecimientos van en contra de los acuerdos, incluso, de la comunidad internacional y, podrían dañar los esfuerzos para alcanzar la paz entre ambas partes”).

Tiré de l’entrevue parue dans La Prensa Libre (Costa Rica) du 28/02/2008 d’Ehud Eitam, ambassadeur d’Israël au Costa Rica

Note 3 : Voir BOEGLIN N., « Gaza / Israël : le Conseil de sécurité adopte une résolution appelant à un cessez-le-feu “, publié le 25 mars 2024 et disponible ici.

Note 4 : Voir ASTROZA P., « En droit, les choses sont ce qu’elles sont et non ce qu’on dit qu’elles sont », Agenda Pública, 1er avril 2024. Texte disponible ici.

Note 5 : Voir BJORGE E., « La résolution 2728(2024) est une résolution contraignante du Conseil », EJIL-Talk, édition du 26 avril 2024. Texte disponible ici.

Note 6 : Voir BOEGLIN N., « Gaza / Israël : sur l’ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) », publié le 26 janvier 2024 et disponible ici.

Note 7 : Voir BOEGLIN N., « Gaza / Israël : quelques notes sur les nouvelles mesures provisoires urgentes ordonnées contre Israël par la Cour internationale de justice (CIJ) », publié le 28 mars 2024 et disponible ici.

Note 8 : Voir BOEGLIN N., « Gaza / Israël : sur la conclusion des audiences dans le procès du Nicaragua contre l’Allemagne pour complicité de génocide à Gaza », publié le 9 avril 2024 et disponible ici.

Note 9 : Voir BOEGLIN N., « América Latina ante solicitud de opinión consultiva a justicia internacional sobre la situación en Palestina, breves apuntes sobre insólito voto en contra de Costa Rica », La Revistacr, édition du 1er février 2023. Texte disponible ici.

Note 10 : Très rarement commenté dans des articles ou revues spécialisées en langue espagnole, nous renvoyons nos estimés lecteurs à : BOEGLIN N., « La voie est libre pour la justice pénale internationale, la CPI peut examiner ce qui se passe en Palestine. La Cour pénale internationale (CPI) se prononce sur le statut d’État de la Palestine et accepte d’examiner ce qui se passe à l’intérieur de ce territoire. Une telle décision a une portée juridique, symbolique et porteuse d’espoir« , Portail de l’UCR, édition du 18 février 2021. Texte disponible ici. Une version française est également disponible sur le portail juridique spécialisé Le Monde du Droit, dans son édition du 24 février 2021, sous le titre “Palestine / Cour Pénale Internationale (CPI) : brève mise en perspective concernant la décision récente de la Chambre Préliminaire” ainsi que sur ce sur le portail DIPublico (Argentine), dans son édition du 8 mars 2021. Voir aussi DUBUISSON F., « Le jugement de la Chambre préliminaire de la CPI du 5 février 2021 statuant sur la compétence territoriale de la Cour en Palestine », Le Club des Juristes, édition du 2 mars 2021. Texte disponible ici.