Gaza/Israël : notes du Costa Rica sur le siège de la justice qui se referme lentement sur Israël
Gaza/Israël : notes du Costa Rica sur le siège de la justice qui se referme progressivement sur Israël.
Nicolas Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : nboeglin(a)gmail.com.
« Ce qui se passe à Gaza n’est pas une opération militaire, c’est une agression à grande échelle contre notre peuple. Ce sont des massacres contre des civils innocents. Nada en el derecho natural ni en el derecho internacional permite atacar a civiles y perpetrar contra ellos ataques tan indiscriminados y bárbaros / Les événements qui se déroulent à Gaza ne sont pas une opération militaire, c’est une agression à grande échelle contre notre peuple. Il s’agit de massacres de civils innocents. Rien dans le droit naturel ou le droit international ne permet de cibler des civils et de les attaquer de manière aussi aveugle et barbare ». Intervención del representante de Palestina ante el Consejo de Seguridad de Naciones Unidas, en su sesión del 16 de octubre del 2023 (véase acta S/PV/9439, en página 9) / Déclaration du représentant de la Palestine au Conseil de sécurité des Nations unies, lors de sa réunion du 16 octobre 2023 (voir verbatim S/PV/9439, à la page 9).
Introduction
A la veille des fêtes de Noël, la Cour internationale de justice de La Haye a fixé dans une ordonnance la date limite de dépôt des mémoires, dans le cadre de la procédure consultative demandée par l’Assemblée générale quelques jours plus tôt, au 19 décembre 2024 : voir le texte de l’ordonnance en français et en anglais datée du 23 décembre 2024 de la Cour internationale de justice / CIJ.
Contrairement aux demandes similaires reçues par le passé par la CIJ concernant la situation dans le territoire palestinien occupé, le délai fixé par le juge international de La Haye est cette fois-ci plus court (Note 1).
Rappelons qu’en 2024, la CIJ a rendu un avis consultatif, cette fois sur l’illégalité de la colonisation et de l’occupation du territoire palestinien par Israël, dont nous avons eu l’occasion d’analyser la portée, ainsi que les différentes réactions officielles de certains États en prenant connaissance de son contenu, notamment le silence des États-Unis et du Canada (Note 2).
En outre, en ces premiers jours de 2025, l’Irlande a officiellement soumis à la CIJ une demande d’intervention dans l’affaire intentée par l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide à Gaza : voir le communiqué officiel de la CIJ en français et anglais du 7 janvier et le texte de sa demande.
En ce qui concerne cette fois la justice nationale, le 5 janvier 2025, un mandat d’arrêt aurait été émis par la justice brésilienne à l’encontre d’un soldat israélien soupçonné d’avoir commis des crimes de guerre à Gaza, en visite au Brésil pour une raison quelconque (voir note de La Nación Argentine et note de AgenciaBrasil). Israël lui a fourni une assistance pour qu’il puisse quitter rapidement le territoire brésilien sur le premier vol commercial disponible (voir note du Washington Post) : il serait très intéressant de connaître le type d’« urgence » invoqué par les diplomates israéliens au Brésil pour arranger son billet d’avion avec les autorités brésiliennes. Dans ce note de CNN du 5 janvier, un communiqué officiel israélien indique que :
Le ministre des affaires étrangères, Gideon Saar, a immédiatement mobilisé le ministère des affaires étrangères pour s’assurer que le citoyen israélien n’était pas en danger.
Israël procéderait maintenant, paraît-il, à « l’activation immédiate » de ses fonctionnaires diplomatiques nommés dans les ambassades à l’étranger pour permettre à ses ressortissants recherchés par la justice… d’échapper à la justice ? Comment cela ? Comme on peut le lire. A moins d’« immédiatement activer » l’appareil diplomatique israélien d’une autre manière qui nous échappe.
Comme on le constatera dans les lignes qui suivent, il est clair pour les juges, tant des juridictions internationales que nationales de certains États (outre le Brésil) que les responsables de ce qui se passe à Gaza depuis l’après-midi/soirée du 7 octobre 2023 doivent répondre devant la justice de leurs actes face à l’impunité totale existant en Israël, et dénoncée par les ONG israéliennes depuis plusieurs années (voir par exemple cette note sur une première action très tardive de la justice israélienne enregistrée seulement en mai 2024 par l’ONG israélienne PeaceNow).
Nous nous concentrerons d’abord sur les actions judiciaires internationales observées au cours du dernier mois de l’année 2024, puis sur certaines actions portées devant les juridictions nationales de certains Etats, sans pour autant présenter brièvement le contexte dans lequel elles s’inscrivent.
Photo d’un homme en Israël écoutant le 26 janvier 2024 le président de la CIJ lire une première ordonnance contre Israël dans le cadre du procès intenté par l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide à Gaza. Photo extraite de article de presse publié en Israël par le média numérique Magazine+972, intitulé « Israel shirked accountability for decades : is the ICJ breaking its armor ? » numéro du 5 février 2024..
Brève mise en contexte basée sur des données récentes.
Malgré l’absence de couverture médiatique internationale de la décision de la justice internationale du 23 décembre (ainsi que de la précédente demande formulée par l’Assemblée générale), la lecture de cette ordonnance et le délai fixé reflètent l’extrême urgence avec laquelle le juge de La Haye a décidé de traiter cette demande d’avis consultatif.
Une interview d’un éminent spécialiste du génocide (voir interview par Democracy Now) publiée le 30 décembre 2024 et intitulée « Total Moral, Ethical Failure : Holocaust Scholar Omer Bartov on Israel’s Genocide in Gaza » confirme l’urgence de stopper l’élan génocidaire d’Israël à Gaza. Depuis Israël même, un historien a recueilli et compilé un large éventail de données sur les exactions de toutes sortes auxquelles les forces militaires israéliennes se sont prêtées à Gaza depuis l’après-midi/la soirée du 7 octobre 2023 (voir note de Haaretz et le lien vers rapport soumis le 5 décembre 2024).
Le 30 décembre 2024, un grand groupe d’experts des droits de l’homme de l’ONU a exigé qu’Israël soit tenu pour responsable de toutes les violations des normes internationales existantes à Gaza (voir communiqué commun). Le 31 décembre 2024, un rapport de l’ONU sur la nature systématique et délibérée des attaques israéliennes contre les hôpitaux et les centres médicaux de Gaza a également été rendu public (voir déclaration officielle de l’ONU avec un lien vers le rapport en tant que tel) : comme indiqué ci-dessus, ces communiqués de presse publiés par l’ONU dans les derniers jours de 2024 ont été notoirement sous-représentés dans les médias internationaux grand public.
Ce communiqué conjoint des Nations Unies daté du 2 janvier 2025 est probablement aussi rarement référencé, tout comme cette alerte publiée par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) le 3 janvier sur les effets dramatiques de la pluie et des basses températures sur la population déplacée de Gaza abritée dans des camps de fortune et exposée aux intempéries.
La déclaration du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur l’antisémitisme du 6 janvier 2025 (voir texte) fait également partie de cette étrange tendance de la plupart des grands médias internationaux lorsqu’ils critiquent les actions d’Israël. La déclaration se lit comme suit :
I also reject attempts to conflate all criticism of Israeli government policies and military operations with antisemitism. It is not antisemitic, for example, to deplore military operations that raise grave concerns over violations of international humanitarian and human rights law. Nor is it antisemitic to condemn those violations and urge respect for the law – including the decisions of international courts . Nor is it antisemitic to call Israel to account for the tens of thousands of people in Gaza, including more than 250 of our own UN staff, who have been killed since 7 October 2023.
Le 2 janvier, Israël a revu à la hausse le nombre de ses victimes à Gaza (891 au total) pour y inclure 38 suicides parmi ses forces militaires (voir note d’Arham et article de Haaretz). La hausse est assez significative si on la compare au chiffre de 393 victimes militaires enregistré dans le rapport de l’ONU sur Gaza au 31 décembre 2024, chiffre obtenu à partir des données officielles israéliennes (voir rapport). Concernant les suicides et la santé mentale des soldats israéliens envoyés à Gaza, en octobre 2024, ce rapport du CNNN a clairement mis en évidence le type de traumatisme dont souffrent de nombreux réservistes à leur retour de Gaza. Déjà en 2017, il était possible de lire dans ce report du support de presse numérique israélien tel que Magazine+972 – dont la lecture intégrale est recommandée – que :
According to a study conducted by Major Leah Shelef, who heads the Israeli Air Force’s Mental Health Clinic, 2009 saw 188 suicide attempts — a third of them by women. Am I included in those 188 attempts? According to statistics published in Haaretz, from 2007 until 2013, 124 soldiers committed suicide during their army service, while 237 soldiers committed suicide between 2002-2012. Even worse, between 2009 and 2011, the main cause of death among soldiers was suicide.
On notera ce volumineux collection de témoignages de soldats israéliens ayant participé à l’offensive militaire terrestre meurtrière à Gaza à l’été 2014, réalisé par l’organisation Breaking the Silence en Israël (242 pages). Un exercice précédé par une autre compilation similaire (112 pages) concernant l’offensive militaire tout aussi meurtrière à Gaza en 2009 : dans les deux compilations, le type d’instructions reçues par ces jeunes Israéliens et le traumatisme qu’a pu représenter pour eux le fait de les exécuter sans aucune préparation préalable sont évidents.
Finalement, il faut noter que les statistiques officielles publiées le 31 décembre 2024 par les autorités israéliennes indiquent qu’au cours de l’année 2024, plus de 82 600 citoyens israéliens ont décidé de voyager à l’étranger et de ne pas revenir (voir note du TimesofIsrael de la même date), sans préciser dans cette note s’il s’agit ou non de personnes en âge d’être appelées par l’armée israélienne à Gaza. En septembre 2024, une façon un peu particulière de résoudre la pénurie de combattants à Gaza a été rapportée par les autorités israéliennes (voir note de France24).
En complément du contexte actuel brièvement exposé ci-dessus, ce récent interview (Al Jazeera, 6 janvier 2024) avec plusieurs experts sur les effets à moyen et long terme sur la santé humaine des particules inhalées par les survivants de bombardements massifs dans des zones très peuplées comme Gaza : des effets sanitaires qui ont été observés dans le passé sur les corps des citadins en Irak et en Syrie, et qui en 2024, outre Gaza, menacent la santé des citadins au Liban face à l’intensité des bombardements israéliens qui ont débuté à la mi-septembre 2024.
Les célébrations de Noël se déroulent dans un contexte de bombardements aveugles à Gaza
Alors qu’une grande partie du monde se préparait à célébrer les fêtes de fin d’année, le dernier rapport de l’ONU sur la situation à Gaza (voir rapport au 31 décembre 2024) détaille l’absurdité totale de l’action militaire israélienne à Gaza, avec ses attaques quotidiennes contre la population civile de Gaza et leur bilan meurtrier :
Between the afternoons of 24 and 30 December, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 203 Palestinians were killed and 574 were injured. Between 7 October 2023 and 30 December 2024, at least 45,541 Palestinians were killed and 108,338 were injured, according to MoH in Gaza. Casualty figures covering until the afternoon of 31 December are not available as of the time of reporting.
Dans le précédent rapport (en date du 24 décembre), il était indiqué que :
Between the afternoons of 17 and 24 December, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 279 Palestinians were killed and 723 were injured. Between 7 October 2023 and 24 December 2024, at least 45,338 Palestinians were killed and 107,764 were injured, according to MoH in Gaza.
Force est de constater que pour de nombreux experts et observateurs, le nombre de morts à Gaza est bien plus élevé que les 45 541 recensés au 31 décembre 2024, puisque l’ONU ne rapporte que les décès identifiés comme tels par les autorités sanitaires de Gaza (laissant de côté un nombre inconnu de corps gisant sous les décombres, auxquels les équipes de secours ne peuvent accéder et qu’elles ne peuvent identifier, ainsi qu’un grand nombre de corps retrouvés dont l’identité n’est pas connue).
On a pu lire dans ce entretien RFI avec un expert français de renom, ancien militaire spécialiste des bombardements aériens, que (au 15 mai 2024, date de son entretien) :
En tant qu’ancien officier d’artillerie, quand je vois la fréquence et la puissance des armements qui sont utilisés tous les jours pour frapper. Il y a entre 100 et 500 frappes par jour sur la bande de Gaza. On rajoute les combats terrestres et maintenant la catastrophe humanitaire. On peut dire qu’en moyenne, sur les 7 derniers mois, il y a entre 200 et 300 morts par jour. Et donc ça veut dire qu’on est entre 60 000 et 70 000 morts, et trois fois plus de blessés.
En ce qui concerne les chiffres officiels fournis par les autorités palestiniennes, il convient de souligner que les autorités sanitaires de Gaza ont historiquement démontré que le nombre de morts a été confirmé des années plus tard par des équipes d’enquêteurs internationaux. Il s’agit là d’un fait objectif et vérifiable, mais que certains analystes s’obstinent à ignorer pour discréditer la valeur de ces chiffres :
– en 2018, lors des exactions commises par les forces de sécurité israéliennes contre des manifestants palestiniens non armés participant à la « Grande Marche » (voir link vers le rapport d’une commission d’enquête des Nations unies) ;
– en 2014, suite à l’offensive militaire à Gaza (70 morts du côté israélien, dont 67 soldats, tandis que 2251 décès ont été enregistrés du côté palestinien, dont 551 enfants (voir link pour le rapport et son sommaire) ;
– en 2009, suite à l’offensive militaire menée à Gaza entre le 28 décembre 2008 et le 17 janvier 2009 par Israël (voir link), qui s’est soldée par la mort de 13 Israéliens et le meurtre d’environ 1 400 Palestiniens (voir la section « victimes » aux paragraphes 352-364 du rapport). 400 Palestiniens (voir la section « casualties » aux paragraphes 352-364 du report).
Nous avons même eu l’occasion de l’expliquer en direct au Consul d’Israël au Costa Rica, dans une émission de radio à laquelle il a participé en novembre 2023 (voir vidéo, après que le présentateur ait indiqué au diplomate israélien « Amir, Amir, ne me faites pas dire que vous êtes un menteur », mn. 2:03:40 et suivantes).
Photo extraite de article publié en Israël le 27 décembre 2024, intitulé « Israël prend d’assaut le dernier hôpital du nord de Gaza alors que les résidents restants sont poussés vers le sud » (Magazine+972), dont la lecture du texte intégral est recommandée.
En ce qui concerne l’offensive militaire de 2014 et la justice pénale internationale, la presse israélienne a elle-même rendu publique l’existence d’une liste secrète (et conservée comme telle depuis) contenant plusieurs centaines de noms de soldats et d’officiers de l’armée à qui il a été conseillé de faire preuve d’une extrême prudence lors de leurs déplacements à l’étranger (voir note dans le TimesofIsrael du 16 juillet 2020). Il est très probable qu’une liste secrète similaire ait été établie en Israël par les plus hautes autorités militaires en 2024.
Les positions du Costa Rica aux Nations unies (2022-2024)
Pour nos chers lecteurs du Costa Rica, il convient de rappeler que lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté l’avis consultatif publié le 19 juillet 2024 lors du vote d’une résolution (voir texte) tenue le 18 septembre 2024 et a déclaré cette colonisation illégale (voir Canada. Ou en Europe, la délégation de Allemagne ainsi que le Royaume-Uni et les Pays-Bas.
En d’autres termes, « Vous vous abstenez ? Expliquez-vous », c’est ce qu’on attend d’un délégué aux Nations unies : en effet, comme on le sait, tout représentant d’un État, lorsqu’il vote en faveur d’un texte, ou contre (ou s’abstient), a la possibilité d’expliquer aux autres délégations ce qui a motivé la position de son État (ce qu’on appelle en jargon diplomatique “explication de vote”).
Le « non » expliqué par le délégué de la République tchèque est une preuve de la manière dont un État avance comme siens des arguments qui, en réalité, réapparaissent dans les explications de vote d’autres États, les États-Unis étant l’un de ceux qui les ont utilisés.
La justification du vote du Costa Rica, en revanche, est apparue plus tard dans un communiqué officiel affiché par l’appareil diplomatique costaricien, invoquant des raisons d’ordre commercial Comment … alors ? Eh bien, … comme vous pouvez le lire : voir à cet égard une note publiée par nos soins, sous le titre « Quelques brefs commentaires sur la “justification” officiellement fournie par la diplomatie costaricienne » (Note 3). Afin de ne pas causer plus d’embarras qu’il n’y en a déjà eu en ces premiers jours de l’année 2025, nous éviterons de reproduire ces remarques.
Toujours pour nos lecteurs costariciens, il convient de rappeler que l’avis consultatif rendu le 19 juillet 2024 par la CIJ résulte d’un vote qui s’est déroulé dans les derniers jours de l’année 2022 à l’Assemblée générale des Nations Unies. À cette occasion, le Costa Rica a été enregistré comme votant contre, avec le Guatemala en Amérique latine (Note 4). A cette occasion, la délégation costaricienne n’a pas jugé opportun d’expliquer son vote négatif aux autres délégations présentes à New York. Ainsi, l’embarras de septembre 2024 peut être mis en relation avec l’embarras de décembre 2022.
La technique du silence de la délégation costaricienne ne semble pas être le monopole de ses seuls diplomates à New York : elle a également été observée en avril 2024 par la délégation costaricienne à Genève, lorsqu’elle s’est abstenue lors d’un vote du Conseil des droits de l’homme demandant d’urgence un embargo sur les armes destinées à Israël (voir note du 5 avril 2024 du média numérique Delfino.cr).
Rougir, rougir, passer par un sentiment de malaise profond entre eux deux,… voilà ce que nous laisse cette séquence.
Quelques annonces récentes du Costa Rica dans les derniers mois de 2024
Peu de temps après l’anniversaire du 7 octobre 2023, le Costa Rica a annoncé la reprise des négociations avec Israël en vue de l’adoption d’un accord de libre-échange (voir note officielle du COMEX et note de l’émission de radio Amelia Rueda du 18 octobre 2024).
Rappelons qu’Israël a déjà signé un traité similaire avec le Panama en mai 2018 (voir note officielle) et qu’il est très probable que ce soit un point à l’ordre du jour avec le Salvador (voir communiqué officiel de 2022). Le 24 octobre 2024, la nomination du nouvel ambassadeur du Costa Rica en Israël a été officialisée (voir oficio de la Casa Presidencial).
Quelques mois plus tôt, en mars 2024, un reportage de la télévision costaricienne (voir note) montrait des réservistes israéliens passant de la plage paradisiaque de Santa Teresa à Cóbano à des combats à Gaza en quelques heures, ce qui peut soulever des questions tout à fait valables. Et accessoirement lancer quelques indices sur ce qui aurait pu motiver la surprenante mention du Costa Rica et de l’Iran dans une même phrase par le Premier ministre israélien lors d’un de ses voyages aux États-Unis en 2017 (voir note de La Nación : « Nous parlons du Costa Rica ou de l’Iran » (sic.) et note du Tico Times). À ce jour, il n’y a pas d’explication connue à l’étrange analogie entre l’Iran et le Costa Rica faite dans l’esprit de l’actuel Premier ministre d’Israël.
Récemment, le Costa Rica, pour une raison ou une autre, a jugé opportun de négocier un accord bilatéral sur l’environnement avec les autorités israéliennes actuelles et … l’a annoncé en plein sommet mondial : en effet, lors de la récente COP29 à Bakou, en Azerbaïdjan, le Costa Rica en a surpris plus d’un en annonçant la signature d’un Mémorandum d’accord (MoU) avec Israël sur les questions environnementales (voir communiqué officiel de ses autorités environnementales le 13 novembre et communiqué officiel de ses homologues en Israël). En réaction, le Costa Rica s’est vu décerner l’indigne accolade de « Fossile du jour » par des organisations environnementales internationales indignées (voir article publié dans l’hebdomadaire Ojoalclima, dont la dernière partie met à nu les autorités costariciennes dans leur refus soudain de s’expliquer).
Les deux nouveaux alliés indéfectibles d’Israël en Amérique latine
Au-delà des bizarreries que l’on découvre parfois en lisant la presse costaricienne sans trop savoir d’où peuvent venir tant de coïncidences, ce qui est certain, c’est qu’Israël et son allié inconditionnel américain n’ont pas ménagé leurs efforts pour obtenir un nombre significatif de « non » le 19 décembre 2024 à New York : leurs effets ont été bien modestes, et l’initiative de la Norvège annoncée le 29 octobre 2024 (Note 5) a prospéré avec succès, sans trop de difficultés.
Le compte rendu du vote indique que le 19 décembre 2024, le texte proposé a recueilli une large majorité de 137 voix pour, 12 contre et 22 abstentions. Ainsi, les diverses pressions exercées par Israël et les États-Unis se sont limitées à seulement 10 votes contre, dont ceux de l’Argentine, de la Hongrie, du Paraguay, de la République tchèque et de quelques autres membres de la soi-disant « coalition » sur laquelle Israël peut toujours compter dans de telles joutes diplomatiques. Le terme « coalition » est inapproprié et volontairement placé entre guillemets, étant donné les caractéristiques très particulières de ce petit groupe d’États (principalement des États insulaires de l’océan Pacifique) auquel Israël et les États-Unis ont souvent recours pour masquer leur isolement au sein des Nations unies (Note 6).
Les détails du vote peuvent également être revus dans cette vidéo sur YouTube, qui montre certaines délégations hésitant avant de décider de leur vote dans les dernières secondes. Parmi les 22 États qui ont choisi de s’abstenir, seuls le Panama et l’Uruguay d’Amérique latine, accompagnés dans l’hémisphère américain par le Canada.
Cette fois-ci, le Costa Rica a voté en faveur de la proposition, tout comme 136 autres États, dont la Chine, la France, le Royaume-Uni et la Russie. L’Allemagne a également voté pour (voir explication de son vote par son représentant à New York). Parmi les abstentions quelque peu surprenantes observées en Europe figure celle de la Grèce. Curieusement, aucune explication de vote n’a été observée de la part de la délégation américaine : ni le site web de la délégation américaine aux Nations unies, ni celui du département d’État en tant que tel, n’ont jugé bon de publier un texte expliquant son vote négatif.
Le vote du 19 décembre 2024 à New York a confirmé l’isolement prononcé d’Israël au sein de la communauté internationale : en Amérique latine, deux États en 2024 ont toutefois réussi à atténuer légèrement cette situation, à savoir l’Argentine et le Paraguay.
L’Argentine et le Paraguay ont récemment remplacé les petites îles du Pacifique traditionnellement très attentives aux demandes d’Israël (Fidji, Îles Marshall, Micronésie, Nauru, Palau, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Tonga) en formant la seule « coalition » des Nations Unies pour accompagner Israël et les États-Unis dans ce type d’exercice au sein des Nations Unies.
En ce qui concerne l’Argentine, il convient de rappeler un événement plutôt inhabituel observé aux Nations unies, lorsque les autorités argentines actuelles ont choisi, le 30 octobre, de révoquer sa plus haute autorité diplomatique, après qu’elle ait donné instruction à sa délégation aux Nations unies de voter en faveur d’un projet de résolution (voir communiqué officiel de l’ONU). La même extrême solitude des États-Unis et d’Israël a été observée en novembre 2023, avec 187 votes en faveur (voir communiqué officiel de l’ONU).
On notera que le 12 décembre, le Paraguay a déplacé son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem, en violation ouverte du consensus qui existe au sein de la communauté internationale depuis les années 1960 : voir note de La Nación (Argentine). En septembre 2018, nous avons eu l’occasion d’analyser les quelques mois durant lesquels l’ambassade du Paraguay est restée à Jérusalem : trois mois au total pour être exact (Note 7). Notons que l’ouverture de l’ambassade du Paraguay à Jérusalem a eu lieu le 21 mai 2018, l’ambassade des États-Unis ayant été inaugurée une semaine plus tôt, le 14 mai 2018.
Le 3 janvier 2025, c’est depuis l’Uruguay qu’un collectif d’organisations sociales a fermement condamné l’annonce officielle faite par ses autorités le 23 décembre 2024 (voir annonce officielle) au sujet de l’ouverture d’un « bureau de l’innovation et de l’entrepreneuriat » à Jérusalem (voir texte).
Quelques alliances « stratégiques » en Amérique latine
Au-delà des espaces qu’Israël semble avoir trouvé dans le sud du continent américain en 2024, il convient de signaler que, dans le cas d’un autre État extrêmement proche d’Israël ces dernières années (le Brésil), ses services de renseignement ont découvert l’existence d’un nuage électronique hébergé sur un serveur en Israël avec des données privées sur plus de 30 000 Brésiliens (voir ce reportage de France24).
Ce report de la BBC, qu’il est recommandé de lire dans son intégralité, détaille le type de relations qui existeront jusqu’en 2022 entre les services de renseignement brésiliens et certaines entreprises israéliennes. Cet autre article explique l’importance de la cybersécurité offerte par Israël aux États qui ont accepté de signer les « Accords d’Abraham », promus par les États-Unis eux-mêmes (voir communiqué officiel de 2023).
En Israël, l’utilisation du programme d’espionnage israélien Pegasus en 2022 contre des leaders sociaux et des activistes salvadoriens a été dénoncée au Salvador (voir note de Timesof Israel précédé de ce report de Amnesty International) : ce long note de Resecurity).
Par ailleurs, il convient de noter que depuis plusieurs années, la technique de la reconnaissance faciale combinée à l’écoute et à l’interception des communications et de l’intelligence artificielle par Israël à Gaza suscite des plaintes de diverses parts (Note 8).
Juges nationaux : les premières actions peuvent en entraîner d’autres
Alors qu’un rapport de la BBC publié le 23 décembre 2024 (voir text) a exposé le type d’ordres que les réservistes israéliens à Gaza reçoivent et que certains d’entre eux ne sont plus disposés à exécuter, de nombreux soldats les ont exécutés, et un petit groupe d’entre eux s’est même vanté de le faire sur les médias sociaux (ce qui leur a permis d’être facilement identifiés).
Dans ce rapport d’Amnesty International de septembre 2024, trois soldats apparaissent posant fièrement tout en détruisant les environs de Kuhza’a dans une vidéo (deuxième infographie du document) : c’est l’une des nombreuses vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux, et qui sont analysées et traitées par diverses ONG pour déterminer le degré de participation de certains soldats à la commission de crimes de guerre.
En ce qui concerne plus particulièrement l’Amérique latine, les soldats israéliens qui ont commis des crimes de guerre à Gaza se rendent apparemment, pour une raison ou une autre, dans certains États de la région.
Nous avons déjà évoqué dans les premières lignes ce qui a été rapporté ce 5 janvier 2025 dans la presse au Brésil, avec un soldat israélien ayant combattu à Gaza recherché par la justice qui a réussi avec l’aide de son ambassade à échapper à la justice brésilienne en prenant le premier vol commercial à quitter le territoire brésilien (voir note du Washington Post) : étant donné qu’il s’agit du premier cas rendu public, il est probable que les autorités judiciaires et d’immigration établissent une sorte de protocole pour s’assurer que cela ne puisse pas se reproduire. Comme indiqué ci-dessus, il serait très intéressant de connaître le type d’« urgence » invoqué par les diplomates israéliens pour organiser ce billet d’avion avec les autorités et les compagnies aériennes brésiliennes, étant donné qu’un État ne devrait pas prévoir de mécanismes d’urgence permettant à l’un de ses ressortissants, recherché par la justice d’un autre État, de s’échapper de celui-ci. Normalement, un mandat d’arrêt judiciaire est notifié aux autorités aéroportuaires et d’immigration, et dans ce cas précis, la personne en question a réussi à échapper aux contrôles en quittant le territoire brésilien par le premier vol commercial disponible. Comment a-t-il fait ? On ne le sait pas, mais cette note de CNN indique qu’Israël serait prêt à cacher la véritable identité de ses ressortissants lorsqu’ils voyagent à l’étranger afin d’éviter de tels problèmes. Dans cet article du New York Times publié le 9 janvier, il est très probable que ce cas détecté au Brésil ne soit pas un cas isolé, mais que de nombreux autres cas similaires soient observés à l’avenir :
Unlike more senior leaders, lower-level soldiers do not usually have diplomatic immunity, or the resources to research which jurisdictions may leave them vulnerable to war crimes complaints.
Dans cette autre note du TimesofIsrael du 9 janvier, il est noté que les autorités israéliennes établiront une liste de destinations « sûres » et moins « sûres », sans que les critères utilisés soient clairs :
IDF reservists who fought in Gaza are being advised to first check with the Foreign Ministry regarding the level of danger in any country they wish to visit.
Dans cette autre note du TimesofIsrael du 15 janvier 2025, l’Italie n’est apparemment plus une destination « safe ».
La complication soudaine de ce qui semble avoir été ses vacances en Amérique latine est également subie par un soldat israélien dans l’extrême sud du Chili qui a fait l’objet d’une action par plusieurs ONG devant les tribunaux chiliens (voir note de Radio UChile le 28 décembre). Les autorités chiliennes chargées des aéroports et de l’immigration, les compagnies aériennes accréditées dans les aéroports chiliens et la police des frontières chilienne devraient veiller davantage à ce que ce qui s’est passé au Brésil le 5 janvier 2025 ne se reproduise pas.
Les tribunaux européens ont également été saisis de telles actions devant les tribunaux nationaux, notamment dans le cas de soldats israéliens détenteurs d’un passeport européen en plus de leur passeport israélien et soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre dans la bande de Gaza.
Dans le cas de la France, plusieurs tentatives ont été faites à l’encontre d’un soldat israélien détenteur d’un passeport français soupçonné d’avoir commis des actes de torture sur des détenus à Gaza : en septembre 2024, la justice française a choisi de classer l’affaire (voir note dans Le Figaro), provoquant l’indignation de nombreux activistes. Concernant ce soldat israélien détenteur d’un passeport français, voir aussi ce note précédent Le Monde d’avril 2024. Un nouveau procès a été intenté en décembre 2024 devant les tribunaux français : voir cette note de la FIDH du 17 décembre 2024 sur l’action devant les tribunaux français intentée par plusieurs ONG ainsi que note de la LDH, qui indique que :
Depuis le 7 octobre 2023, la campagne génocidaire d’Israël à Gaza a tué au moins 44 000 Palestinien-ne-s et en a blessé 105 000 autres. De nombreux éléments permettent d’établir que des crimes internationaux ont été commis par plusieurs des quelque 4 000 citoyens français mobilisés dans l’armée israélienne. Pourtant, à ce jour, aucune enquête judiciaire relative à ces crimes n’a été ouverte par les autorités françaises.
Dans le cas de la Belgique, ce sont deux militaires belges/israliens qui ont fait l’objet d’une action devant les tribunaux belges : voir note de JusticeInfo d’octobre 2024 détaillant ces deux affaires devant les tribunaux belges. On y lit que pour les plaignants :
Il faut faire respecter le droit international pour forcer un cessez-le-feu et mettre fin à l’impunité qui nourrit les crimes suivants. La justice belge doit faire sa part du travail, aux cotés de la justice internationale.
Pour sa part, le Royaume-Uni enregistre une centaine de ses ressortissants dans les rangs de l’armée israélienne envoyée combattre à Gaza (voir communiqué de presse), sans qu’aucune action en justice de ce type n’ait encore été entendue devant les tribunaux britanniques.
Dans cette section, il convient également de mentionner une action similaire intentée cette fois au Maroc (voir note de ElPais/Espagne de septembre 2024).
Probablement d’autres affaires similaires sont en cours devant divers tribunaux dans différentes parties de l’Amérique latine, mais aucune autre information n’a été rapportée par les médias. Ou encore que des « managements » diplomatiques discrets de l’appareil diplomatique israélien avec les autorités de certains États permettent d’exfiltrer certains de leurs ressortissants dans la plus grande discrétion.
Dans le cas du Costa Rica, outre la plage de Santa Teresa à Cóbano, déjà citée, où un Israélien aurait été assassiné par d’autres Israéliens en avril 2021 (voir nota de 2021 de DiarioExtra), il existe plusieurs autres plages qui connaissent un grand succès en Israël en tant que destination touristique. A l’heure où nous écrivons ces lignes (9 janvier 2025), rien n’est apparu dans la presse concernant une action similaire à celles observées au Brésil et au Chili de la part d’une quelconque autorité judiciaire costaricienne. A noter que la presse nationale a fait état d’un soldat à Gaza avec un passeport costaricien (voir note de Teletica en novembre 2024), sans donner plus de détails sur le type d’opérations dans lesquelles il a été impliqué.
En ce qui concerne l’utilisation abusive de données privées par Israël et ses entreprises, notons que le 21 décembre, un juge californien aurait rejeté un appel, ouvrant la possibilité de traduire en justice la société israélienne NSO, spécialisée dans le placement de logiciels espions dans des applications à usage général telles que l’application WhatsApp, extrêmement populaire (voir note de The Guardian).
En guise de conclusion
Le 15 janvier 2025, cette déclaration du chef de la diplomatie américaine souligne l’échec total de la stratégie militaire d’Israël à Gaza : voir note du Timesof Israel intitulé « Blinken : we assess that Hamas has recruited almost as many of new fighters as it lost ». Nos chers lecteurs peuvent constater par eux-mêmes à quel point les médias internationaux dominants n’en ont pas parlé.
Au-delà des relais dont Israël semble disposer dans certaines rédactions pour couvrir ses actions à Gaza et passer sous silence ses échecs, il ne fait aucun doute que la justice internationale et la justice nationale ont occupé et occuperont encore longtemps l’appareil diplomatique israélien : plusieurs de ses ressortissants identifiés comme ayant commis des exactions à Gaza en 2023 ou 2024 sont aujourd’hui recherchés par diverses organisations dans différentes parties du monde.
En ce qui concerne la justice internationale, il est clair que la CIJ est déterminée à traiter beaucoup plus rapidement la demande d’avis consultatif, qui constitue une nouvelle tentative d’appliquer à Israël les règles régissant les États dans l’ordre juridique international, qu’Israël viole de manière répétée dans le territoire palestinien occupé, tout en conservant son statut d’État membre de l’ONU.
Ce récent interview avec le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits du peuple palestinien par AlJazeera explique très bien que la justice pour le peuple palestinien commence avec les autorités nationales de chacun des 193 États membres des Nations unies, en particulier les États qui ignorent les obligations existantes de prévenir les génocides et de ne pas envoyer de fournitures, de munitions et d’armes lorsque des crimes de guerre sont commis.
Notez que dans le dernier rapport de l’ONU sur Gaza au 31 décembre 2024 (voir rapport), il est indiqué qu’Israël a de nouveau délibérément assassiné les personnes qui, depuis Gaza, rendaient compte au monde de ce qui se passait :
On 26 December, five Palestinian journalists and media workers were reportedly killed when a press van belonging to Al Quds Today TV was hit in front of Al Awda Hospital in An Nuseirat refugee camp in Deir al Balah. The UN Human Right Office condemned the airstrike on the “unarmed and clearly identified” press members, adding that, although “the Israeli military has claimed they were affiliated with Palestinian armed groups … affiliation alone would not remove their protection as civilians.” The Committee to Protect Journalists stated that with this incident “at least nine Gazan journalists have been killed in less than two weeks.” According to the Palestinian Journalists Syndicate, over 190 journalists and media workers have been killed in Gaza since October 2023.
Le chiffre de 190 journalistes palestiniens tués par Israël à Gaza depuis le 7 octobre 2023 témoigne des efforts soutenus déployés par Israël pour empêcher le monde de rendre compte de ce qui se passe dans la région : une moyenne effrayante de plus de 12,5 journalistes palestiniens tués par mois depuis cette date.
L’utilisation soutenue du droit de veto par la délégation américaine pour protéger Israël au Conseil de sécurité a historiquement empêché le Conseil d’imposer des sanctions à l’encontre d’Israël. Précisément, le 30 décembre 2024 a marqué les 10 ans d’un exercice mémorable au cours duquel la délégation américaine a manœuvré et voté contre un projet de résolution de telle sorte que la diplomatie palestinienne a choisi de diriger ses efforts en direction de la justice pénale internationale à La Haye, avec la reconnaissance formelle de l’acceptation de la juridiction de la Cour pénale internationale (CPI) matérialisée le premier jour de 2015 (Note 9).
En ce qui concerne précisément la justice pénale internationale, il convient de noter que moins d’un mois avant le 19 décembre 2024 (21 novembre), le siège de la justice internationale a été fortement ressenti par Israël, cette fois-ci en provenance d’une autre juridiction également située à La Haye : La Chambre préliminaire de la CPI a confirmé à l’unanimité la demande d’arrestation de l’actuel Premier ministre israélien et de son ancien ministre de la Défense pour crimes de guerre, ainsi que celle d’un chef d’aile militaire du Hamas pour crimes contre l’humanité (Note 10). Le courage des trois juges de cette Chambre préliminaire mérite d’être souligné et salué, tant il est vrai que s’opposer à Israël et aux Etats-Unis (et aux cercles qui gravitent autour d’eux) a été synonyme de menaces et d’intimidations de toutes sortes.
Tel a été l’enseignement d’Israël contre la population civile de Gaza, et telle a été la volonté délibérée de contaminer et de détruire les sols, les sources d’eau et les diverses formes de subsistance telles que les vergers et les champs, les réservoirs d’eau naturels, la couverture végétale et les autres éléments naturels qui soutiennent la vie, que depuis le 18 décembre 2024, sans mentionner expressément ce qui se passe à Gaza, un projet général de la CPI sur les crimes contre l’environnement (ouvert aux commentaires et aux observations) circule (ouvert aux commentaires et aux observations) : voir communiqué officiel de la CPI).
De ce point de vue, un document interne divulgué en Israël en novembre 2023 visant à rendre Gaza invivable pour ses 2,3 millions d’habitants prend beaucoup plus d’importance : voir article dans Magazine+972 intitulé « Expulser tous les Palestiniens de Gaza, recommande le ministère du gouvernement israélien », qui contient une version anglaise du document divulgué. Le même média israélien a détaillé dans un article publié au cours du même mois de novembre 2023 et intitulé « A mass assassination factory’ : Inside Israel’s calculated bombing of Gaza », la nature intentionnellement destructrice des opérations menées à Gaza par Israël depuis l’après-midi/la soirée du 7 octobre 2023.
– – Notes – –
Note 1 : Dans le cas de la demande d’avis consultatif votée par l’Assemblée générale le 30 décembre 2022 sur l’occupation illégale et la colonisation du territoire palestinien, la CIJ a fixé dans son ordonnance du 3 février 2023 au 25 juillet 2023 la date limite de dépôt des observations écrites des États et des organisations internationales (voir ordre). En revanche, dans le cas de la requête la plus urgente reçue concernant la construction d’un mur par Israël (officiellement appelé « fence » en Israël, « cerca » en anglais) dans le territoire palestinien à la fin de l’année 2003, la CIJ a fixé dans son ordonnance du 19 décembre 2003 au 30 janvier 2004 pour la réception de ces soumissions (voir Ordonnance).
Note 2 : Voir BOEGLIN N., « Occupation prolongée et colonisation israélienne illégale du territoire palestinien : notes sur le récent avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) », 19 juillet 2024. Texte disponible ici.
Note 3 : Voir BOEGLIN N., « Gaza/Israël : à propos de la récente demande d’intervention de la Bolivie auprès de la CIJ », édition du 9 octobre 2024. Texte disponible ici.
Note 4 : Il convient de rappeler que l’avis consultatif précité de la CIJ du 19 juillet 2024 est le résultat d’un processus initié fin 2022, au cours duquel le Costa Rica a voté contre avec le Guatemala, sans plus d’explication sur une position aussi inhabituelle de la délégation costaricienne à l’ONU : voir à cet égard BOEGLIN N. , « América Latina ante la solicitud de opinión consultiva a la justicia internacional sobre la situación en Palestina », Portal de la UCR, édition du 13 février 2023, et notamment la section « El voto de los Estados de América Latina en este 2022 : Guatemala y Costa Rica únicos en votar en contra ». Texte disponible ici.
Note 5 : Par ailleurs, il est intéressant de noter que, sur les 193 États membres de l’ONU, c’est la Norvège qui a pris l’initiative de demander un avis consultatif à la CIJ de manière isolée au départ, et que son appareil diplomatique l’a gérée avec un succès notable. Comme on le sait, la Norvège n’est pas un État partie à l’UE, ce qui permet à sa diplomatie de prendre des mesures que les membres de l’UE ne sont pas toujours libres de mettre en œuvre. Il convient de noter que cette démarche a été officiellement annoncée le 29 octobre 2024 depuis Oslo (voir annonce officielle). La date du 29 octobre 2024 coïncide avec l’adoption formelle d’une loi en Israël déclarant illégales les activités de l’UNRWA, ce qui a déclenché une vague de répudiation. Nous renvoyons nos chers lecteurs, parmi les nombreuses positions officielles rejetant la loi adoptée en Israël, au communiqué officiel du Secrétaire général de l’ONU lui-même, ainsi que, parmi beaucoup d’autres, aux communiqués officiels de Bolivie, de Chili, de communiqué commun). Dans le communiqué officiel du Costa Rica, il est indiqué que :
En outre, la législation adoptée par la Knesset crée un précédent extrêmement inquiétant pour le travail des Nations unies et de toutes les organisations du système multilatéral et pourrait impliquer une violation par Israël d’au moins une des mesures provisoires imposées par la Cour internationale de justice (CIJ).
Pour sa part, la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU (Suisse) a adopté une déclaration au nom de ses 15 membres le 30 octobre 2024 dans laquelle elle exprime sa profonde inquiétude (voir texte complet) quant à l’avenir des activités de l’UNRWA dans le territoire palestinien occupé. Il est très probable que, si une résolution avait été votée, la délégation américaine aurait trouvé un moyen d’y opposer son veto (ou de limiter substantiellement ses effets juridiques afin de ne pas nuire à Israël).
Note 6 : Comme il est devenu habituel dans ce genre de concours onusiens, un observateur reconnaîtra, parmi les votes contre, le petit « hard core » des États qui s’opposent systématiquement à tout texte pro-palestinien, et qui comprenait généralement, avant le 7 octobre 2023, l’Australie, le Canada, les Îles Marshall, Israël, la Micronésie, Nauru, Palau et, bien sûr, l’allié indéfectible que sont les États-Unis. En général, ce petit noyau parvient à attirer des votes occasionnels et circonstanciels (que ce soit en provenance d’Europe, d’Afrique ou d’Amérique centrale). À titre d’exemple, parmi tant d’autres, lorsqu’en novembre 2012 l’Assemblée générale a reconnu la Palestine comme un « État observateur non membre », en adoptant la résolution communiqué officiell des Nations unies). De même (9 voix contre), lors d’un vote au sein de l’Assemblée générale sur l’obligation de ne pas déplacer les ambassades à Jérusalem qui s’est déroulé en décembre 2017, réunissant 128 voix pour et 35 abstentions (voir note de notre part). Cette très curieuse « coalition », selon le terme utilisé par le Washington Post en 2012 (voir article), s’est également exprimée en 2021, lors du vote de la résolution A/RES/76/225 (voir détail du vote). Loin d’être une alliance de circonstance, les liens qui unissent ses membres semblent être ceux d’un front réel, durable et assez solide qui perdure dans le temps. En 2022, ces liens sont réapparus lors du vote de la résolution intitulée « Règlement pacifique de la question de Palestine » A/77/L.26, adoptée le 30 novembre 2022 par 153 voix pour, 9 contre et 10 abstentions (voir détail du vote au cours duquel la Hongrie et le Liberia ont rejoint la « coalition » précitée, l’Australie s’étant finalement abstenue). Ce petit groupe peut parfois être encore plus petit : l’une des expressions les plus modestes en nombre de voix de la dite « coalition » (4 voix : États-Unis, Israël, Îles Marshall et Micronésie) est certainement cette résolution votée en octobre 2003 sur la construction du mur édifié par Israël en territoire palestinien, adoptée avec 144 voix pour et seulement 4 contre (voir le communiqué officiel des Nations Unies).
Note 7 : Sur la décision de déplacer l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem par le président Cartes alors en poste au Paraguay en mai 2018 (sous la forte pression des États-Unis pour que le Paraguay rejoigne les États-Unis avec des ambassades à Jérusalem) puis la décision du nouveau président paraguayen Mario Abdo Benitez de la ramener sans autre forme de procès à Tel-Aviv quelques mois plus tard, voir BOEGLIN N. , « La décision courageuse du Paraguay de rétablir son ambassade à Tel Aviv : une brève mise en perspective », édité le 11 septembre 2018. Texte disponible ici.
Note 8 : Voir par exemple cet article publié dans le Journal du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 2020 : TALBOT R., « Automating occupation : Implications of the deployment of facial recognition technologies in the occupied Palestinian territory », Journal du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), 2020. Texte intégral de l’article disponible ici. Ainsi que ce reportage publié en Israël en 2024 par un groupe de journalistes d’investigation : « “Lavender” : the AI machine directing Israel’s bombing spree in Gaza », Magazine+972, édition du 3 avril 2024. Texte disponible ici. Le 15 avril 2024, un groupe d’experts des droits de l’homme de l’ONU a condamné l’utilisation de l’intelligence artificielle à Gaza pour réaliser un « domicide » : voir full text de cette déclaration, peu référencée dans les médias internationaux.
Note 9 : Voir le projet de résolution S/2014/916 qui a fait l’objet d’un vote négatif des États-Unis le 30 décembre 2104, ainsi que de l’Australie (et le dossier S/PV.7354). En raison des fortes pressions exercées par les États-Unis et Israël sur les autres membres du Conseil de sécurité, elle n’a pas pu réunir le nombre de votes positifs nécessaires (9) pour être considérée comme ayant fait l’objet d’un veto de la part des États-Unis en tant que tel : voir à cet égard notre note intitulée “El resultado del voto sobre Palestina en el Consejo de Seguridad : balance y perspectivas”, publiée sur le site spécialisé DerechoalDia, expliquant le soudain changement d’avis du Nigéria quelques heures avant le vote. Dans son intervention (dont la lecture intégrale est recommandée dans le procès-verbal S/PV.7354 ), le représentant de la Palestine a déclaré : « Nous réitérons dans cette salle du Conseil qu’il est impératif qu’Israël, la puissance occupante, soit tenu responsable de ses violations du droit international, y compris du droit humanitaire et des droits de l’homme, et de ses transgressions des résolutions de l’ONU. Un tel mépris ne peut plus être justifié ou toléré. Il n’y a aucune excuse pour refuser à un autre peuple le droit à l’autodétermination, comme cela a été réaffirmé de la manière la plus éloquente à l’Assemblée générale ce mois-ci par le vote sur le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, qui a reçu le soutien écrasant de 181 États membres de l’Assemblée » (page 13).
Note 10 : Voir BOEGLIN N., « Gaza / Israël : mandats d’arrêt de la CPI contre le Premier ministre et (l’ancien) ministre de la Défense d’Israël et un dirigeant du Hamas. Scope and prospects », 21 novembre 2024. Texte disponible ici. En plus de l’étrangeté du contenu de la déclaration officielle du Costa Rica, la France a publié une déclaration officielle très contestable : voir MAISON R., « France, l’amitié avec Israël comme excuse de la violation du droit international », Orient XXI, édition du 19 décembre 2024. Texte disponible ici.
Dans une note que nous avons publiée à l’intention du public francophone sur les mandats d’arrêt confirmés par la CPI le 21 novembre, et intitulée « Gaza / Israël : la portée des mandats d’arrêt délivrés récemment par la Cour Pénale Internationale (CPI) et la surprenante réaction officielle de la France », nous expliquions que :
Cette ligne jurisprudentielle appliquée aux visites de chefs d´Etat étrangers en France mérite une explication un peu moins juridique que nous allons tenter de donner : on peut serrer la main de tout chef d´Etat étranger sur le perron de l’Elysée, y ajouter les accolades de rigueur, sourires affables et poses devant les journalistes, et ce chef d’Etat bénéficie sur le territoire de la France de l’immunité accordée à tout chef d’Etat. Et ce même si il est suspecté de commettre un génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou d’autres violations graves des droits de l´homme. A la question que toute personne peut légitimement se faire « Mais,… ils sont nombreux ces chefs d’Etat étrangers? », on peut répondre qu’il y en a effectivement un bon nombre. Par contre, et dans ce cas le nombre est bien moindre, lorsque ces accusations ont été soigneusement examinées et méticuleusement documentées par le Procureur de la CPI, puis revues méthodiquement par trois juges de la CPI, et que ce chef d’Etat étranger fait finalement l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par une Chambre préliminaire de la CPI, le droit international s’impose automatiquement aux autorités françaises en vertu du Statut de Rome : on procède alors à la capture de ce même chef d’Etat s’il se trouve en France par les autorités nationales compétentes, et on le remet sans tarder aux juges de la CPI à La Haye. Fini le temps des accolades devant les caméras.