Nicolas Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : nboeglin(a)gmail.com

Note de l’auteur : une version française légèrement augmentée de ce texte est également disponible sur ce

29. En mai, la Commission d’enquête a conclu qu’Israël, par son « siège total », avait militarisé la rétention de biens vitaux, y compris l’aide humanitaire, à des fins stratégiques et politiques, ce qui constituait une punition collective et des représailles contre la population civile, et donc des violations directes du droit international humanitaire. Selon la commission d’enquête, la pratique israélienne de la famine comme méthode de guerre affecterait l’ensemble de la population de Gaza pendant des décennies, avec des conséquences particulièrement négatives pour les enfants. Dans ses demandes de mandats d’arrêt, le procureur général de la CPI a conclu que, par son siège total de Gaza et les restrictions arbitraires imposées au transfert de fournitures essentielles, ainsi que par les attaques contre les civils, l’obstruction de l’aide et les attaques contre les travailleurs humanitaires et le meurtre du personnel humanitaire, Israël avait utilisé des moyens criminels pour atteindre ses objectifs militaires et la punition collective dans le cadre d’un plan commun. Il s’agit notamment de causer intentionnellement la mort, la famine, des souffrances aiguës et des blessures graves, d’utiliser la famine comme méthode de guerre et de diriger intentionnellement des attaques contre des civils.

Extrait du rapport des Nations Unies A/79/363 (voir lien) mentionné dans un communiqué de presse du 14 novembre 2024 intitulé « UN Special Committee finds Israel’s warfare methods in Gaza consistent with genocide, including use of starvation as a weapon of war » (voir lien) peu référencé dans les médias internationaux.

Introduction

Le 21 novembre 2024, la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu’elle avait confirmé et délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de deux hauts responsables israéliens et d’un chef de l’aile militaire du Hamas à Gaza.

Plus précisément, il s’agit de mandats d’arrêt contre l’actuel Premier ministre et ministre de la Défense d’Israël jusqu’à il y a quelques semaines (voir communiqué de presse communiqué de presse officiel de la CPI en français et anglais).

Dans son premier communiqué concernant les autorités israéliennes, les juges de la CPI ont constaté que les autorités israéliennes n’avaient pas été en mesure de fournir des informations sur les autorités israéliennes :

With regard to the crimes, the Chamber found reasonable grounds to believe that Mr Netanyahu, born on 21 October 1949, Prime Minister of Israel at the time of the relevant conduct, and Mr Gallant, born on 8 November 1958, Minister of Defence of Israel at the time of the alleged conduct, each bear criminal responsibility for the following crimes as co-perpetrators for committing the acts jointly with others: the war crime of starvation as a method of warfare; and the crimes against humanity of murder, persecution, and other inhumane acts. The Chamber also found reasonable grounds to believe that Mr Netanyahu and Mr Gallant each bear criminal responsibility as civilian superiors for the war crime of intentionally directing an attack against the civilian population.

Dans son deuxième communiqué concernant le chef militaire du Hamas, elle lit que pour la CPI,

The Chamber found reasonable grounds to believe that MrDeif, born in 1965, the highest commander of the military wing of Hamas (known as the al-Qassam Brigades) at the time of the alleged conduct, is responsible for the crimes against humanity of murder; extermination; torture; and rape and other form of sexual violence; as well as the war crimes of murder, cruel treatment, torture,; taking hostages; outrages upon personal dignity; and rape and other form of sexual violence.The Chamber found reasonable grounds to believe that Mr Deif bears criminal responsibility for the aforementioned crimes for (i) having committed the acts jointly and through others and (ii) having ordered or induced the commission of the crimes, and (iii) for his failure to exercise proper control over forces under his effective command and control.

La déclaration faite par le même Procureur de la CPI le 21 novembre mérite également d’être mentionnée (voir text), dans laquelle il déclare ce qui suit :

As I emphasised in May, these applications were made following an independent investigation, and on the basis of objective, verifiable evidence vetted through a forensic process. I appeal to all States Parties to live up to their commitment to the Rome Statute by respecting and complying with these judicial orders. We count on their cooperation in this situation, as with all other situations under the Court’s jurisdiction. We also welcome collaboration with non-States Parties in working towards accountability and upholding international law.

Certains cercles s’attendent à ce que bien plus que deux personnes en Israël soient traduites devant le système de justice pénale internationale à La Haye. Selon ce récent interview d’un média israélien (Magazine+972,dans son édition du 26 novembre), l’un des représentants légaux des victimes palestiniennes devant la CPI déclare,

Additional indictments are not just possible — they are probable. The ICC’s jurisdiction covers crimes committed since 2014, a period that encompasses a wide range of documented violations, including extrajudicial killings, illegal settlements, and the blockade of Gaza. These are not isolated incidents but part of a broader pattern of systemic oppression.

De quelques réactions

Comme à leur habitude, les plus hautes autorités israéliennes n’ont rien trouvé de mieux que d’accuser les trois juges de la CPI qui ont pris cette décision d’« anti-sémitisme » (voir note dans le TimesofIsrael). De telles déclarations de la part des dirigeants israéliens ne sont pas nouvelles et ont été entendues en cette année 2024 à propos de la Cour Internationale de Justice (CIJ) (voir note du TimesofIsrael du 26 janvier), de l’Assemblée Générale de l’ONU, du Conseil des Droits de l’Homme, du Secrétaire Général de l’ONU, des Rapporteurs et Experts des droits de l’homme de l’ONU, etc…. Ce type de déclaration peut expliquer l’origine des menaces contre deux membres de la CPI dénoncées le 28 novembre par son président dans un communiqué officiel (voir texte en français et en anglais).

Pour sa part, une ONG comme Amnesty International s’est déclarée profondément satisfaite de cette décision, mais a également exigé que tous les États parties au Statut de Rome de 1998, qui a créé la CPI, se conforment désormais à toutes leurs obligations et coopèrent pleinement avec la CPI (voir communiqué de presse). Human Rights Watch a fait une déclaration similaire (voir communiqué). Soulignons que très tôt, dès le 23 octobre 2023, les chercheurs d’Amnesty International avaient détecté et documenté la commission par Israël de crimes de guerre à Gaza (voir leur communiqué à l’époque).

Qu’il s’agisse ou non d’une conséquence imprévue de cette décision de la CPI en Israël, les rapports sur l’irresponsabilité de son Premier ministre avant l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 ont été détaillés dans les principaux journaux israéliens (voir par exemple cet interview). Dimanche 24 novembre dernier, les plus hautes autorités israéliennes se sont déchaînées contre un journal israélien à la ligne éditoriale très critique comme Haaretz (voir note de Haaretz et note d’ElPais en Espagne).

De quelques réactions officielles dans l’hémisphère américain

Sans surprise, dès que la décision de la Chambre préliminaire de la CPI a été rendue publique, le bureau de la Maison Blanche aux États-Unis a publié une déclaration discréditant la CPI pour cette décision (voir déclaration officielle du 21 novembre).

En Amérique latine, certains États ont accueilli la décision de la CPI avec une grande satisfaction : le communiqué officiel publié par l’appareil diplomatique du Chili mérite d’être mentionné, avec le texte suivant :

21 novembre 2024

Le gouvernement du Chili a pris connaissance de la décision de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale d’émettre des mandats d’arrêt contre le Premier ministre d’Israël, Benjamin Netanyahu, l’ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, et le commandant du Hamas, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri, pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre présumés commis en Israël et en Palestine dans le cadre du conflit actuel.
Le Chili rappelle qu’en janvier 2024, il a déféré, avec le Mexique, la situation de la Palestine à la CPI pour qu’elle enquête sur les crimes commis à la fois en Palestine et en Israël par des ressortissants des deux États.

Le Chili appelle d’urgence les parties au conflit à mettre fin aux graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme commises contre les civils, qui ont particulièrement affecté la population palestinienne de Gaza, notamment les femmes et les enfants innocents. , le gouvernement du Chili soutient le travail de la Cour pénale internationale et espère que tous les États coopéreront avec ses enquêtes et ses décisions, qui sont contraignantes, afin que ces crimes graves ne restent pas impunis.
D’autres, comme l’Argentine, ont jugé bon de la rejeter par un simple tweet de sa plus haute autorité (voir communiqué de presse).

A noter que l’appareil diplomatique paraguayen, ignorant la décision de la CPI, tout comme celui de l’Argentine, a publié la veille un communiqué annonçant des démarches auprès des autorités israéliennes pour transférer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem (voir communiqué du 20 novembre).

Au-delà de la lecture du communiqué officiel du Chili ou de celui de la Colombie contenu dans ce nota communiqué de presse, un exercice supplémentaire est proposé : leurs contenus respectifs peuvent être comparés au contenu étrange du communiqué officiel émis par le Costa Rica (Note 1). Probablement rédigé à la hâte, sans passer par une quelconque révision stylistique, ce communiqué contient une grave erreur, affirmant de manière erronée que :

.

La date d’adoption du Statut de Rome en juillet 1998 sera-t-elle ignorée par le service de presse du ministère des Affaires étrangères du Costa Rica ?

L’autre phrase selon laquelle la CPI « étudie les situations déférées par les Etats parties ou par le Conseil de sécurité des Nations Unies » est également incomplète et totalement erronée lorsqu’elle s’applique spécifiquement au cas des dirigeants israéliens et du Hamas. En tant que professeur de droit international public, nous invitons les responsables du service de communication de ce ministère (et ses dirigeants) à lire les articles 13 et 15 du Statut de Rome de 1998, dont la version anglaise complète est disponible sur ce . Sauf erreur de notre part, aucun autre communiqué officiel de l’Etat n’a tenté d’expliquer brièvement (et incomplètement) l’origine et le fonctionnement de la CPI et de mentionner d’autres tribunaux internationaux.

Enfin, d’un point de vue formel, il existe un moyen d’exprimer le contenu de la phrase suivante d’une manière beaucoup plus appropriée, en omettant un style et à la fin un « etc » qui semblent correspondre à des généralités trouvées dans un dictionnaire ou une encyclopédie numérique :

La Cour se concentre sur les victimes, et devant la Cour, toutes les victimes ont le même droit à la justice, qu’elles soient de n’importe quel pays, groupe ethnique, religion, etc.

La comparaison du texte diffusé par le Costa Rica peut être faite non seulement avec le texte diffusé par l’appareil diplomatique du Chili, mais aussi avec le communiqué de l’Afrique du Sud (voir texte), celui de la France (qui a « prend acte » de cette décision de la CPI – voir texte).

Il convient également de mentionner le communiqué d’une réunion des membres du G7 en Italie publié le 26 novembre (voir communiqué), qui indique – en omettant dans ce cas toute référence à la CPI sur l’insistance probable des États-Unis – que :

In exercising its right to defend itself, Israel must fully comply with its obligations under international law in all circumstances, including International Humanitarian Law. We reiterate our commitment to International Humanitarian Law and will comply with our respective obligations

Le communiqué d’une réunion des membres du G7 en Italie publié le 26 novembre (voir communiqué) mérite également d’être mentionné, car il indique – en omettant toute référence à la CPI sur l’insistance probable des États-Unis – que

A noter que le Costa Rica est un Etat partie au Statut de Rome depuis juin 2001 et a présidé l’Assemblée des Etats parties à plusieurs reprises. Il dispose également depuis plusieurs années d’un juge de sa nationalité à la CPI, qui a récemment siégé au sein d’une Chambre de la CPI qui a formellement condamné la Mongolie pour ne pas avoir arrêté le président de la Russie alors qu’il se trouvait sur son territoire et qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par la CPI en mars 2023 (voir décision du 24 octobre 2024).

En examinant les communiqués officiels en cette année 2024 adoptés en relation avec la crise à Gaza et la CPI, dans le cas du Mexique un communiqué de janvier 2024 informant sur sa démarche avec le Chili devant la CPI (voir comunicado official) aurait bien pu servir d’inspiration …. pour une démarche similaire du Costa Rica, qui a « emphasé » de n’activer aucun mécanisme depuis l’après-midi/soirée du 7 octobre 2023, afin de stopper l’élan destructeur d’Israël à Gaza. A noter que le 29 novembre, il a été indiqué que le Costa Rica, ainsi que le Chili, l’Espagne, la France, le Luxembourg et le Mexique, ont soumis une demande urgente conjointe (« referral ») concernant la situation des femmes en Afghanistan (voir document daté du 28 novembre soumis à la CPI et communiqué officiel du Chili). Dans sa déclaration du 29 novembre accueillant cette demande conjointe, le Procureur note que son bureau enquête sur la situation depuis 2017 (voir déclaration).

Les États-Unis et la législation sont prêts à sanctionner la CPI

S’agissant plus particulièrement des États-Unis, il convient de rappeler cette initiative du Congrès américain du 7 mai 2024, qui vise à sanctionner la CPI si jamais elle s’aventure à ordonner une enquête ou des poursuites à l’encontre des dirigeants politiques et militaires des alliés des États-Unis. Cette initiative, votée en juin 2024 (voir note du TheGuardian), est justifiée, selon le préambule,

« Imposer des sanctions à l’égard de la Cour pénale internationale engagée dans tout effort d’enquête, d’arrestation, de détention ou de poursuite de toute personne protégée des États-Unis et de ses alliés » Traduction libre de l’auteur de “Imposer des sanctions à l’égard de la Cour pénale internationale engagée dans tout effort d’enquête, d’arrestation, de détention ou de poursuite de toute personne protégée des États-Unis et de ses alliés”.

Israël n’est pas mentionné dans ce texte, mais il est intéressant de noter que l’initiative a été présentée le 7 mai 2024, quelques semaines avant que le procureur de la CPI ne demande publiquement des mandats d’arrêt contre deux dirigeants israéliens et trois dirigeants du Hamas le 20 mai. Il est intéressant de noter que la liste des sponsors de cette initiative inhabituelle du Congrès américain comprend les noms de certaines personnes proches du nouveau président américain élu le 5 novembre dernier et qu’il a décidé de nommer à des postes importants dans sa future administration.

Argentina, nuevo refuerzo de Israel en Latinoamérica

Dans le cas de l’Argentine, il est notoire que depuis quelques mois elle participe à la coalition pro-israélienne (extrêmement modeste) aux Nations unies, remplaçant même par son vote celui des petites îles du Pacifique (Fidji, Micronésie, Nauru, Palau) qui ont déjà décidé de ne pas soutenir Israël en 2024 : voir à cet égard le vote d’une résolution à la quatrième commission de l’Assemblée générale de l’ONU sur le plateau du Golan (territoire syrien occupé par Israël) avec 152 voix pour et 5 contre (Argentine, États-Unis, Israël, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Tonga) à laquelle ce communiqué de l’ONU du 20 novembre 2024.

Le duo Argentine-Paraguay avait également fait « stood out » le 14 novembre dernier à New York, lors du vote par la Troisième Commission de sa traditionnelle résolution sur le droit à l’autodétermination du peuple palestinien (voir communiqué de presse de l’ONU, passé sous silence dans les médias américains…) avec une majorité rarement atteinte de 170 voix pour, 9 abstentions et 6 voix contre : Argentine, Etats-Unis, Hongrie, Israël, Paraguay, Nauru et République tchèque.

En Amérique latine, le Guatemala se distingue parmi les votes en faveur de cette résolution précise en 2024, le Panama choisissant de s’abstenir (alors qu’il avait voté pour en 2023), tandis que l’Argentine et le Paraguay semblent remplacer les petits États insulaires du Pacifique qui, en 2023, accompagnaient Israël et les États-Unis en votant contre cette même résolution (Note 2).

Un bref compte-rendu de la décision de la CPI du 21 novembre dernier

La demande de mandats d’arrêt du Procureur de la CPI était patiemment attendue depuis le 20 mai 2024 : c’est à cette date que le Procureur de la CPI a formellement annoncé sa demande de mandats d’arrêt à l’encontre de trois dirigeants du Hamas et des deux responsables israéliens susmentionnés (voir le lien vers l’annonce en français et anglais). Les Etats-Unis ont exprimé leur opposition catégorique à l’annonce du Procureur le 20 mai (voir Département d’Etat communiqué).

En effet, nous avons eu l’occasion d’analyser la portée de l’annonce du Procureur de la CPI (voir notre brève note sur le même sujet le 20 mai dernier) ainsi que, quelques mois plus tard, les démarches entreprises par plusieurs États latino-américains devant la CPI en août 2024 : voir notre note sur la question intitulée »L’Amérique latine face au drame de Gaza : à propos des observations envoyées par la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Mexique à la Cour pénale internationale (CPI).

Contrairement à d’autres régions du monde, ce groupe d’États a confirmé que l’Amérique latine était un bastion de la justice pénale internationale et de la lutte contre l’impunité rampante, notamment en ce qui concerne les exactions israéliennes dans le territoire palestinien occupé.

À la fin du mois d’août, le procureur de la CPI a eu l’occasion de réaffirmer l’urgence de délivrer ces mandats d’arrêt dans une déclaration totalement passée sous silence par les médias : voir notre note intitulée « Gaza / Israël : le procureur de la CPI réaffirme l’urgence des mandats d’arrêt« .

Pour mémoire, fin mai 2024, des journalistes d’investigation en Israël ont publié un long rapport sur le système d’écoute auquel les services secrets israéliens ont soumis les ordinateurs et le personnel de la CPI pendant de nombreuses années : voir article, intitulé « Surveillance et intégrité : la guerre secrète d’Israël contre la CPI exposée« , dont la lecture du texte intégral est conseillée.

Les assassinats israéliens expliquent pourquoi il n’y a pas de mandat d’arrêt contre les derniers dirigeants du Hamas, après une longue attente.

Israël ayant procédé à l’assassinat des autres dirigeants du Hamas cités dans la requête du procureur de la CPI dans son communiqué du 20 mai, la Chambre préliminaire a étendu les mandats d’arrêt aux deux responsables israéliens encore en vie et à un dirigeant du Hamas dont on pense qu’il a échappé à une tentative d’assassinat par les forces militaires israéliennes. Sa mort n’ayant pas été confirmée, la CPI n’a aucun moyen de l’exclure de sa demande. En revanche, voir la décision de la CPI du 9 septembre de suspendre le mandat d’arrêt dans le cas spécifique du dirigeant palestinien du Hamas, Ismael Hanyeh, assassiné par Israël le 31 juillet à Téhéran après avoir assisté à l’investiture du nouveau président iranien (voir texte).

La longue attente depuis le 20 mai 2024 était en partie due aux démarches initiées par le Royaume-Uni à la fin du mois de juin, ouvrant une période de temps procédurale pour les avis juridiques à soumettre par les États, les ONG et les individus aux trois juges de la CPI. Il convient de noter que, suite aux résultats des élections britanniques du 4 juillet, les nouvelles autorités britanniques ont choisi de suspendre les tactiques dilatoires de leurs prédécesseurs, peut-être à la demande d’Israël (et de son fidèle allié américain) : voir cet article dans The Guardian.

Dans le cadre d’une campagne de presse visant à discréditer la CPI et son procureur, parrainée par des cercles pro-israéliens influents aux États-Unis et en Europe, les juges de la CPI ont également fait l’objet de pressions diplomatiques de toutes sortes de la part de certains grands États donateurs pour qu’ils ne délivrent pas de mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants israéliens.

Selon certains experts, les pressions diplomatiques exercées par les Etats-Unis sont allées encore plus loin en demandant que, si une décision devait être prise, elle ne soit pas rendue publique avant le 5 novembre 2024, date des élections américaines. Comme vous l’avez lu.

Nous avons eu l’occasion d’expliquer ces aspects et d’autres avec des collègues universitaires renommés lors d’un forum organisé par le programme de troisième cycle en sociologie de l’Université du Costa Rica (UCR) au début du mois de juillet 2024 (voir flier et vidéo de l’activité) intitulé précisément : « Gaza / Israël : du siège de l’information au siège de la justice internationale ».

L’absurdité de la supposée « guerre » d’Israël à Gaza

Le dernier rapport des Nations Unies sur la situation à Gaza (voir report en date du 19 novembre) rend compte de l’absurdité de l’action militaire israélienne à Gaza, avec près de 44 000 morts identifiés (et plus de 100 000 blessés) :

« Between the afternoons of 12 and 19 November, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 307 Palestinians were killed and 932 were injured. Between 7 October 2023 and 19 November 2024, at least 43,972 Palestinians were killed and 104,008 were injured, according to MoH in Gaza.

Between the afternoons of 12 and 19 November, three Israeli soldiers were killed in Gaza, according to the Israeli military. Between 7 October 2023 and 19 November 2024, according to the Israeli military and official Israeli sources cited in the media, more than 1,576 Israelis and foreign nationals were killed, the majority on 7 October 2023 and its immediate aftermath. The figure includes 376 soldiers killed in Gaza or along the border in Israel since the beginning of the ground operation. In addition, 2,440 Israeli soldiers were reported injured since the beginning of the ground operation« .

Comme on le sait, malgré une très faible couverture dans les médias grand public, le rapport A/79/384 a été présenté à l’Assemblée générale des Nations unies en octobre 2024 (voir lien), intitulé “Génocide as colonial suppression” par le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 : sa lecture intégrale est recommandée, en analysant et en détaillant l’intention génocidaire documentée des autorités israéliennes actuelles à Gaza (lire en particulier les paragraphes 11-23 et les paragraphes 42-48, ainsi que 68-82).

Dans cette note du service de presse des Nations Unies du 30 octobre 2024, vous pouvez écouter sa présentation en espagnol ; nos chers lecteurs peuvent vérifier par eux-mêmes si ce communiqué de presse et le rapport auquel il se réfère ont été mentionnés dans les médias grand public au Costa Rica. Ou si, comme c’est souvent le cas au Costa Rica et ailleurs, les agences de presse internationales et les médias internationaux ont ignoré ce rapport.

L’auteur de ce rapport s’est ensuite rendu au Canada le 3 novembre (voir communiqué de presse), interrogeant la société et les autorités canadiennes sur l’indicible drame de Gaza, avec plusieurs entretiens avec différents médias (voir l’un d’entre eux).

Le 8 novembre 2024, les Nations unies ont publié un autre rapport sur la période allant du 1er novembre 2023 au 30 avril 2024 (voir link) qui indique (page 6) que :

The monitoring and verification of grave violations remained extremely challenging, including owing to access constraints, a high level of insecurity, and threats and direct attacks also on United Nations personnel, monitors and humanitarian actors. Nevertheless, verification work continued, with the number of killings verified by OHCHR by 2 September 2024 standing at 8,119 Palestinians in Gaza, including 2,036 women and 3,588 children (1,865 boys and 1,723 girls). Of these verified figures, 7,607 were killed in residential buildings or similar housing, out of which 44 per cent were children, 26 per cent women and 30 per cent men

Dans les recommandations finales, outre celles adressées aux autorités israéliennes (pp. 29-30), il est indiqué que les États membres de l’ONU devraient également prendre certaines mesures (page 31) :

« 72. The High Commissioner calls on Member States of the United Nations to: 

a. Consistent with their obligations under international law, assess arms sales or transfers and provision of military, logistical or financial support to a party to the conflict, with a view to cessation of such support to the extent it implicates a real risk of facilitating commission of serious violations of international law; 

b. Support the work of the International Criminal Court in relation to the Occupied Palestinian Territory; exercise universal jurisdiction to try crimes under international law in national courts, consistent with international standards; and comply with extradition requests pertaining to suspects of such crimes to countries where they would face a fair trial; ».

Un rapport de la Commission d’enquête des Nations Unies A/79/363 (voir link) mérite d’être mentionnée : de même que sa faible couverture par les médias internationaux, comme c’est devenu la coutume depuis le 7 octobre 2023 lorsqu’il s’agit de rapports décrivant le drame innommable auquel Israël soumet la population civile palestinienne à Gaza.

Le 14 novembre 2024, la comparution d’un chirurgien ayant opéré des civils à Gaza devant une commission parlementaire britannique la veille a également été diffusée (voir vidéo), dans laquelle il détaille l’intention délibérée d’Israël de causer le plus grand mal aux civils, en particulier aux enfants.

Le message de la CPI : un signal clair aux Etats et aux autres juges

Depuis le 21 novembre dernier, la communauté internationale a assisté à la pose d’un deuxième jalon important pour les victimes palestiniennes et pour la justice pénale internationale, ainsi que pour la lutte contre l’impunité à laquelle les autorités israéliennes se sont habituées depuis de nombreuses années, confiantes dans le manteau protecteur de leur allié américain inconditionnel.

En février 2021, un premier pas avait été franchi, dans une décision peu médiatisée et peu analysée de la CPI déclarant qu’elle est parfaitement habilitée, d’un point de vue juridique, à examiner la situation sur l’ensemble du territoire palestinien, sans exception d’aucune sorte : voir notre note sur le sujet publiée dans l’International Human Rights Network (IHRN) et intitulée “Cour pénale internationale (CPI)/Palestine : the path for international criminal justice clears”. Lorsqu’une enquête a été formellement ouverte par le Bureau du Procureur quelques semaines plus tard, les Etats-Unis se sont sentis obligés d’exprimer leur refus catégorique (voir communiqué du Département d’Etat le 3 mars 2021).

À noter que cette annonce officielle de la CPI le 21 novembre a été précédée 24 heures plus tôt par la énième tentative des États-Unis au Conseil de sécurité (Note 3), leur délégation choisissant d’exercer seule son veto pour protéger Israël à Gaza, face aux 14 votes favorables des autres États membres : il s’agit du quatrième veto solitaire des États-Unis depuis le 7 octobre 2023 au sein du Conseil de sécurité.

Le mandat d’arrêt délivré le 21 novembre par la CPI oblige désormais les États membres du Statut de Rome (voir official status des signatures et ratifications) à livrer les deux dirigeants israéliens s’ils se trouvent sur leur territoire, ce qui entravera considérablement leurs déplacements à l’étranger. La même possibilité s’étend également au dirigeant du Hamas susmentionné (et qui est considéré comme étant toujours en vie, soit quelque part dans la bande de Gaza, soit à l’extérieur de celle-ci).

En même temps, cette décision de la Chambre préliminaire lance une longue procédure interne à la CPI pour poursuivre les dirigeants israéliens et le commandant militaire palestinien.

Pour l’Afrique du Sud, cette décision des juges de la CPI pourrait ouvrir la voie à une nouvelle demande urgente d’indication de mesures conservatoires dans l’affaire Afrique du Sud contre Israël devant une autre juridiction internationale basée à La Haye : la CIJ (voir le de sa demande – en anglais – pour la procédure du 29 décembre 2023). Dans sa requête initiale, on peut lire (point 4) une description de l’action israélienne confirmée depuis lors (décembre 2023) par les faits et la réalité dramatique sur le terrain :

4. The facts relied on by South Africa in this application and to be further developed in these proceedings establish that — against a background of apartheid, expulsion, ethnic cleansing, annexation, occupation, discrimination, and the ongoing denial of the right of the Palestinian people to selfdetermination — Israel, since 7 October 2023 in particular, has failed to prevent genocide and has failed to prosecute the direct and public incitement to genocide. More gravely still, Israel has engaged in, is engaging in and risks further engaging in genocidal acts against the Palestinian people in Gaza. Those acts include killing them, causing them serious mental and bodily harm and deliberately inflicting on them conditions of life calculated to bring about their physical destruction as a group. Repeated statements by Israeli State representatives, including at the highest levels, by the Israeli President, Prime Minister, and Minister of Defence express genocidal intent. That intent is also properly to be inferred from the nature and conduct of Israel’s military operation in Gaza, having regard inter alia to Israel’s failure to provide or ensure essential food, water, medicine, fuel, shelter and other humanitarian assistance for the besieged and blockaded Palestinian people, which has pushed them to the brink of famine.

Ces mandats d’arrêt envoient également un signal clair à un certain nombre d’Etats et de secteurs politiques qui considéraient la justice pénale internationale comme partiale et ciblée, en particulier sur le continent africain. Il s’agit également d’un signal fort adressé à certains Etats qui, pour une raison ou une autre, jugent bon de continuer à faire des affaires comme d’habitude avec Israël, notamment dans le commerce des armes et dans de nombreux autres domaines hautement stratégiques (approvisionnement en pétrole notamment, mais aussi en composants électroniques nécessaires aux systèmes d’information et de communication utilisés par l’armée israélienne).

Pour finir, les juges nationaux qui hésitaient à prendre des décisions peuvent maintenant trouver une raison supplémentaire, absente du dossier jusqu’au 20 novembre, de statuer en faveur des victimes palestiniennes, conformément à l’obligation générale des Etats de prévenir le crime de génocide et les crimes de guerre. Pour rappel, de nombreux soldats israéliens qui affichent leurs « trophées » et leurs crimes de guerre à Gaza sur les médias sociaux détiennent un passeport autre qu’israélien et des actions en justice contre eux ont été engagées dans certains États européens (Note 4).

En guise de conclusion : retour au Costa Rica pour un moment.

En tant que professeur de droit international public (souvent amené à expliquer à ses étudiants le sens et le type de message qu’un Etat entend envoyer lorsqu’il rédige un communiqué de presse, jouant sur la richesse et les nuances du langage pour moduler et calibrer le signal qu’il veut envoyer aux autres Etats), il est plus que surprenant de constater le peu de soin que l’appareil diplomatique costaricien apporte à la rédaction et à la diffusion d’un communiqué de presse comme c’est le cas dans cette affaire précise.

Au-delà de la précipitation avec laquelle les communiqués de presse sont parfois rédigés, allant même jusqu’à invoquer des principes juridiques inexistants (Note 5), ces mandats d’arrêt de la CPI envoient également un signal fort à des Etats comme le Costa Rica qui, pour une raison ou une autre, jugent opportun de négocier des accords bilatéraux avec les autorités israéliennes en place et … les annoncer en plein sommet mondial : lors de la récente COP29 à Bakou, en Azerbaïdjan, le Costa Rica en a surpris plus d’un en annonçant la signature d’un Mémorandum d’accord (MoU) avec Israël sur les questions environnementales (voir communiqué officiel de ses autorités environnementales le 13 novembre et ccommuniqué officiel de ses homologues d’Israël). Entre-temps, le Costa Rica s’est vu décerner l’indigne accolade de « Fossile du jour » par des organisations environnementales internationales indignées (voir article publié dans l’hebdomadaire Ojoalclima, dont la dernière partie met à nu les autorités costariciennes dans leur refus soudain de s’expliquer).

Dans un autre domaine, le Costa Rica négocie depuis plusieurs années un accord de libre-échange avec Israël (voir communiqué officiel des autorités en charge du commerce extérieur en octobre 2024) et ne semble pas avoir jugé opportun ou prudent de les suspendre sine die..

Notes

Note 1 : Le communiqué officiel du Costa Rica publié le 22 novembre à 12h59 (voir lien officiel) se lit comme suit ;

.

San José, 22 novembre 2024. Le Costa Rica participe aux organisations multilatérales des nations, y compris au système judiciaire international, qui en est un élément essentiel.

Nous avons toujours soutenu la Cour internationale de justice, la Cour pénale internationale, le Tribunal international du droit de la mer et la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Il existe une présomption d’innocence, une procédure régulière et des garanties judiciaires complètes.

La Cour se concentre sur les victimes, et devant la Cour, toutes les victimes ont le même droit à la justice, qu’elles soient de n’importe quel pays, groupe ethnique, religion, etc.

Le Costa Rica respecte l’indépendance judiciaire de la Cour pénale et ne juge pas opportun de commenter ses décisions.

Nous avons confiance dans ses magistrats et dans l’intégrité de l’institution et de ses fonctionnaires.

Communication institutionnelle

458-2024 CR indépendance judiciaire CPI

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Note 2 : Lors du vote sur cette même résolution en 2023, il est indiqué dans ce communiqué des Nations Unies du 10 novembre 2023 : « On a point of order, Egypt’s delegate asked who requested the vote, to which the Chair responded that it was Israel. The resolution was approved by a recorded vote of 168 in favour to 5 against (Israel, Marshall Islands, Micronesia, Nauru and the United States), with 9 abstentions (the Democratic People’s Republic of Korea, Guatemala, Kiribati, Palau, Papua New Guinea, Paraguay, Tongo, Tonga and Vanuatu)

Note 3 : Voir notre brève note sur le sujet : BOEGLIN N., « Gaza / Israël : sur le nouveau veto solitaire américain au Conseil de sécurité », édition du 20 novembre 2024. Texte intégral disponible ici.

Note 4 : Concernant un soldat israélien détenteur d’un passeport français, voir cette note du Le Monde d’avril 2024. Concernant deux soldats belgo-israéliens, cette note de JusticeInfo d’octobre 2024 détaille ces deux affaires devant les tribunaux belges. On peut y lire : « Il faut faire respecter le droit international pour forcer un cessez-le-feu et mettre fin à à l’impunité qui nourrit les crimes suivants. La justice belge doit faire sa part du travail, aux cotés de la justice internationale ». Le Royaume-Uni, quant à lui, enregistre une centaine de ses ressortissants dans les rangs de l’armée israélienne envoyée pour combattre à Gaza (voir communiqué de presse).

Note 5 : À l’occasion de l’entrée des troupes spéciales de l’Équateur dans l’ambassade du Mexique à Quito le 5 avril 2024, nous avons eu l’occasion d’enregistrer les différentes réactions officielles des États latino-américains et de signaler l’erreur conceptuelle, à notre avis grave, contenue dans le communiqué de presse officiel préparé et diffusé par le Costa Rica lorsqu’il a déclaré que : « C’est peut-être la première fois que des États se réfèrent officiellement à “l’intégrité territoriale d’une ambassade” : voir BOEGLIN N. , « A propósito del anuncio por parte de México de suspender sus relaciones diplomáticas con Ecuador », édition du 6 avril 2024. Texte disponible ici