Nicolás Boeglin, de la Faculté de droit de l’Université du Costa Rica..


Dans un document transmis le 23 août à la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI), le procureur de la CPI a réitéré sa demande de mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants israéliens (son Premier ministre et son ministre de la Défense) et de trois dirigeants du Hamas.

Le présent avis juridique permet également au procureur de la CPI de répondre à certaines des demandes adressées à la CPI par des États, des organisations internationales, des ONG et des universitaires, dont certains (très peu dans le cas des États) ont remis en question ses actions d’un point de vue juridique, en se fondant sur des interprétations juridiques fantaisistes.

La CPI a été créée en 1998 par l’adoption du Statut de Rome, un instrument international qui enregistre 124 États parties (voir statut officiel des signatures et des ratifications). En Amérique latine, le dernier État à l’avoir ratifié est le Guatemala en 2012, tandis que Cuba et le Nicaragua persistent à ne pas avoir signé cet instrument.

Comme le montre une brève recherche sur le web, le contenu du document du procureur de la CPI a été très peu couvert par les principaux médias internationaux depuis le 23 août.

L’indicible drame de Gaza

Il est conseillé de lire le dernier rapport sur la situation à Gaza, préparé par les Nations Unies au 30 août 2024 (voir link).

L’avant-dernier rapport (au 26 août 2024, voir link) indique que les bombardements incessants d’Israël sur la population civile de Gaza se sont poursuivis sans relâche, et que de nouveaux drames se sont déroulés à Gaza ces derniers jours de manière continue :

Between the afternoons of 23 and 26 August, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 170 Palestinians were killed and 390 were injured. Between 7 October 2023 and 26 August 2024, at least 40,435 Palestinians were killed and 93,534 were injured, according to MoH in Gaza.

The following are some of the deadly incidents reported between 22 and 25 August:

On 22 August, five Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit in the vicinity of Bani Suheila square, east of Khan Younis.

On 23 August, five Palestinians were reportedly killed when a vehicle was hit southeast of Khan Younis.

On 23 August, four Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit in northwestern An Nuseirat Refugee Camp, Deir al Balah.

On 24 August, four Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit in Maan area, east of Khan Younis.

On 24 August, 11 Palestinians, including women and children, were reportedly killed and 30 others injured when a house was hit in Al Amal neighborhood, west of Khan Younis.

On 24 August, at about 12:10, eight Palestinian men were reportedly killed when a vehicle (tuk-tuk) was hit in northwestern Rafah.

On 25 August, eight Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit south of Deir al Balah.

Pour certains spécialistes, le bilan de plus de 40 000 morts à Gaza est bien en deçà de la réalité. En effet, dans un récent article publié par un spécialiste militaire de renom invité par plusieurs médias français, intitulé « Les guerres en Ukraine et en Israël, (enfin) en perspective ? », le chiffre réel pourrait être d’environ 100 000 personnes tuées à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :

les évaluations des dégâts des bombardements montrent – même en hypothèse basse – que le bilan projeté se situe plutôt autour de 100,000 morts et donc de 350,000 blessés (le ratio de 3,5 est la « norme »), soit 20% de la population palestinienne de Gaza « au bas mot » (450,000 / population initiale de 2,3 millions), blessée ou tuée par cette guerre démesurée.

L’absence de données vérifiables est largement due à l’absence de personnel humanitaire déployé dans la bande de Gaza et à l’absence de médias capables de documenter et d’informer l’opinion publique internationale sur la réalité de Gaza et sur l’ampleur exacte des bombardements aériens d’Israël sur la population civile de Gaza. A cet égard, l’assassinat délibéré par Israël de journalistes, de cameramen et d’assistants de presse a conduit une soixantaine d’organisations de protection des journalistes à hausser le ton et à demander à l’Union européenne (UE) d’agir (voir lettre collective datée du 22 août 2024). La lettre indique que :

Journalists play an indispensable role in documenting and reporting on war crimes and other human rights violations. The cumulative effect of these abuses is to create the conditions for an information void, as well as for propaganda and mis- and disinformation. While Israel contends that its actions are to keep its people safe, history shows that censorship and denial of the right to information is a flawed path to peace or security. We, therefore, write to you today to call for the suspension of the Israel / EU Association Agreement on the basis that it has violated international human rights and criminal law and for the adoption of targeted sanctions against IDF officials and others responsable.

Au 23 août 2024, selon le Committee to Protect Journalists (CPJ), le nombre de journalistes tués à Gaza par les forces militaires israéliennes depuis le 7 octobre 2023 s’élève à 116 professionnels des médias (voir rapport).

En ce qui concerne le personnel humanitaire de l’ONU à Gaza, la mort de 280 membres du personnel de l’ONU à Gaza depuis le 7 octobre 2023 a été commémorée le 19 août lors de la Journée internationale de l’action humanitaire (voir communiqué) – un chiffre jamais atteint auparavant sur un théâtre d’opérations où le personnel de l’ONU était présent.

Dans un autre domaine lié aux exactions commises à Gaza, l’ONG Human Rights Watch a publié le 26 août un rapport détaillé sur les tortures subies par les personnes travaillant dans les hôpitaux de Gaza, capturées par Israël (voirrapport).

La stratégie militaire erratique d’Israël à Gaza d’un point de vue militaire

Dernièrement, au cours d’une émission du programme Desayunos de Radio UCR (voir link à l’émission du 21 août 2024, intitulée « Qu’est-ce qui se passe à Gaza?« ), nous avons eu l’occasion de détailler ces aspects et d’autres du drame indicible de Gaza, ainsi que d’analyser la stratégie militaire qui a échoué à Gaza.

La CPI réaffirme qu'il est urgent d'émettre des mandats d'arrêt dans le conflit entre Gaza et Israël pour d'éventuels crimes de guerre dans la région.
Veillée en mémoire des victimes palestiniennes de Gaza, organisée devant le ministère des Affaires étrangères et du Culte du Costa Rica à San José, Costa Rica, le 2 novembre 2023. Avec l’aimable autorisation du Palestine Solidarity Network / Costa Rica.

Pendant que l’attention se focalise sur la situation à Gaza, le dernier rapport de l’ONU sur la situation en Cisjordanie (voir report au 28 août 2024) révèle un climat d’impunité pour toutes sortes d’exactions commises par les colons contre les familles palestiniennes et leurs biens, face à la passivité des forces de sécurité israéliennes, avec 622 personnes tuées depuis le 7 octobre 2023 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Notons que ce 1er septembre 2024, un appel à la grève générale en Israël aurait été lancé par divers milieux face à l’échec total et complet de la stratégie de son Premier ministre à Gaza pour récupérer les otages capturés par le Hamas le 7 octobre 2023 (voir note du Times of Israel et note de AgenciaNova du 1er septembre 2024) : Il s’agit d’une initiative largement motivée par l’indignation des familles d’otages (ainsi que de l’opposition politique) qui constatent les échecs répétés de l’appareil militaire israélien à récupérer leurs proches et le torpillage des négociations avec le Hamas par le Premier ministre israélien.

Rappelons qu’au début du mois de juillet 2024, des sondages en Israël indiquaient que plus de la moitié de la population était convaincue que l’opération militaire meurtrière à Gaza était un pur calcul politique de la part de leur premier ministre (voir note dans The Times of Israel du 4 juillet). Quelques semaines plus tard, la méfiance à l’égard du Premier ministre continuait de croître, une majorité souhaitant le voir démis de ses fonctions (voir note dans le Times of Israel du 12 juillet).

Au sein même du cabinet de guerre israélien, la position du premier ministre est de plus en plus remise en cause par ses confrères en raison de l’échec de sa stratégie de récupération des otages détenus par le Hamas quelque part à Gaza (voir note dans le TimesofIsrael du 1er septembre 2024).

Justice pénale internationale : le défi pour Israël et ses alliés

Au-delà de la singulière stratégie de survie politique du Premier ministre israélien au lendemain du 7 octobre (dont la responsabilité est indéniable, ayant mis en veilleuse les précédents avertissements reçus sur les intentions du Hamas), il n’est pas inutile de rappeler que certains infidèles diplomatiques ont par le passé souligné le grand défi posé à Israël par l’existence de la CPI à La Haye.

Ainsi, en novembre 2012, lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a accordé le « Statut d’État observateur non membre » à la Palestine (seuls 9 États ayant voté contre, à savoir le Canada, les États-Unis, les Îles Marshall, Israël, Nauru, Palau, Panama et la République tchèque), le Royaume-Uni a choisi de s’abstenir : Canada, États-Unis, Israël, Îles Marshall, Nauru, Palau, Panama et République tchèque), le Royaume-Uni a choisi de s’abstenir.

Toutefois, le Royaume-Uni avait annoncé qu’il voterait en faveur de la proposition, mais seulement si la Palestine lui donnait l’assurance qu’elle n’irait pas devant la CPI :

The U.K. suggested that it might vote “yes” if the Palestinian Authority offered assurances that it wouldn’t pursue charges in the International Criminal Court, but apparently came away unsatisfied.

véase nota de prensa de noviembre del 2012 de The Washington Post, un medio cuyos corresponsales son usualmente bien informados.

La profonde inquiétude que suscite la justice pénale internationale n’est pas sans rappeler une autre infidélité diplomatique antérieure à 2012, et cette fois-ci mise en lumière par le portail Wikileaks : à propos de l’offensive militaire israélienne meurtrière à Gaza en 2009 (Note 1), on a pu lire que, lors d’une conversation avec des diplomates américains (cf. câble daté du 23 février 2010 de l’ambassade américaine à Tel Aviv), la confidence suivante a été faite par le colonel Liron Libman en 2010 :

Libman noted that the ICC was the most dangerous issue for Israel and wondered whether the U.S. could simply state publicly its position that the ICC has no jurisdiction over Israel regarding the Gaza operation.

Le colonel Liron Libman, haut fonctionnaire israélien, était (et est probablement encore en septembre 2024) un grand connaisseur des règles du droit international : il a été pendant de nombreuses années à la tête du département de droit international des forces de défense israéliennes (FDI).

Conclusions du procureur à venir

Dans un long document de 49 pages (voir full text), le Procureur de la CPI rejette un certain nombre de points de vue présentés par certains États et entités à la CPI sur certaines limitations supposées qui résulteraient pour la CPI des accords d’Oslo, et conclut que :

113. In addition to being manifestly out of time, Israel’s letter neither mentions article 18 nor satisfies the legal requirements of a deferral request under article 18. Merely asserting the capacity of the Israeli justice system and that some investigations are ongoing is not sufficient. The requesting State bears the burden of proof and must demonstrate that its proceedings sufficiently mirror the scope of the Prosecution’s intended investigation. It must provide information of a sufficient degree of specificity and probative value to demonstrate an advancing process of relevant domestic investigations or prosecutions, including patterns of criminality and high-ranking officials. Israel did not provide any such material that would meet this burden. Nor, as outlined above, does any such information appear to exist.

IV. RELIEF REQUESTED

114. The Prosecution respectfully requests the Pre-Trial Chamber to:
– dismiss in limine the observations unrelated to the Oslo Accords; and
– urgently render its decisions under article 58, on the basis of the Prosecution’s Applications, these submissions, and the Article 19(3) Decision.

Dans la première partie de son avis, le Procureur de la CPI déclare que les arguments selon lesquels Israël a procédé à une enquête sur les actions de ses forces militaires à Gaza sont inacceptables pour le Procureur de la CPI :

8. (…) As the Prosecution has concluded, and as is evident from the public record, there are no domestic proceedings at present which deal with substantially the same conduct and the same persons as the cases presented to the Chamber pursuant to article 58 of the Statute. There is no information indicating that Benjamin NETANYAHU or Yoav GALLANT, Israel’s Prime Minister and Minister of Defence, respectively, are being criminally investigated or prosecuted, and indeed the core allegations against them have simply been rejected by Israeli authorities.

Dans un autre passage de son mémoire, il est indiqué que pour le Procureur de la CPI :

93. In any case, and additionally, the available information does not show that Israel is investigating substantially the same conduct as the ICC. For instance, the information available does not suggest that the above inquiries relate to the conduct underlying the war crime of starvation and/or related crimes. Likewise, the available information does not suggest any inquiry into patterns of criminality, or the potential responsibility of high-ranking officials, which may among other considerations signify the investigation of contextual elements of crimes against humanity. Indeed, significantly, on 28 May 2024 the MAG categorically rejected the commission of these crimes without any indication or implication that such conclusions resulted from a full and rigorous investigation, or indeed any investigation at all.

Bref contexte procédural

Ainsi, le délai accordé par la Chambre préliminaire de la CPI pour la réception des avis juridiques est arrivé à son terme, et la Chambre préliminaire doit maintenant prendre une décision finale sur la demande d’arrestation qu’elle a reçue le 20 mai 2024 du Procureur de la CPI lui-même.

La prolongation de ce délai est due à une première tactique de retardement du Royaume-Uni en juin 2024, qui a ouvert une période d’attente pour que les juges de la CPI reçoivent divers avis juridiques de la part d’États, d’organisations internationales, d’ONG et d’universitaires. En raison du résultat des élections britanniques du 4 juillet 2024, les nouvelles autorités britanniques ont estimé qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus loin et n’ont pas soumis d’avis juridiques à la CPI au nom du Royaume-Uni.

En ce qui concerne l’Amérique latine, nous avons eu l’occasion d’évoquer les avis juridiques adressés par les États latino-américains à la CPI dans une précédente note publiée le 6 août 2024, intitulée « L’Amérique latine face au drame de Gaza : sur les observations adressées par la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Mexique à la Cour pénale internationale (CPI) ».

Si certains de nos chers lecteurs ne trouvent pas leur pays d’origine dans la liste, la question de savoir pourquoi une telle omission et une telle inaction de la part de leurs autorités nationales peuvent en être la cause est tout à fait justifiée. Nous laissons de côté le cas particulier de nos lecteurs argentins, comme nous l’expliquons ci-dessous.

Dans le cas spécifique de l’Equateur, l’accord récent avec Israël (avril 2024) dénote un rapprochement – tout à fait inhabituel – entre un Etat latino-américain et les autorités israéliennes actuelles (voir communiqué officiel de l’Equateur et nouvelles communiqué de presse d’El Telégrafo, avril 2024).

Pour ce qui est du Paraguay, une récente annonce officielle sur l’idée de déplacer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem témoigne des relations étroites de ses autorités actuelles avec celles d’Israël (voir note de MercoPress juillet 2024). En mai 2024, les exportations de viande paraguayenne vers Israël ont considérablement augmenté (voir note de ValorAgro). Rappelons qu’en mai 2018, le Paraguay a annoncé le transfert de son ambassade à Jérusalem (voir communiqué officiel du 9 mai 2018), décision annulée quelques mois plus tard par les autorités guaranies nouvellement élues (Note 2).

La communication présentée par la Colombie à la CPI était accompagnée de celles de l’Espagne (voir document), de l’Irlande (voir document), de la Norvège (voir document complet) et d’un avis juridique conjoint présenté par le Chili et le Mexique (voir texte). Ces documents vont dans le même sens que celui soumis par la Palestine (voir document) : la justice pénale internationale est légalement pleinement habilitée à s’appliquer dans le territoire palestinien occupé, sans limitation d’aucune sorte, et il est temps qu’elle se matérialise par l’émission des mandats d’arrêt demandés.

De manière intéressante, les quelques articles de presse et commentaires d’analystes, d’éditorialistes et de spécialistes n’ont pas tenu compte du fait qu’Israël a choisi de ne pas soumettre d’avis écrit à la CPI.

Par ailleurs, il convient de mentionner l’avis juridique soumis à la CPI par les 30 experts des droits de l’homme de l’ONU qui ont envoyé un avis commun aux juges de la CPI (voir document, dont la lecture intégrale et la relecture sont recommandées), et qui concluent en affirmant catégoriquement ce qui suit :

23. The Mandate Holders recognize the Court’s role in ensuring international justice as a critical component of preserving international order through the protection of the interests of victims of international crimes. People around the world, especially youth, advocating for the application of international law, are watching closely, hoping the promises of international peace are not devoid of meaning.

24. In light of the expert opinions shared in this document, the Mandate Holders urge the Court not to further delay the delivery of justice in the occupied Palestinian territory, through the prosecution of alleged criminals. The significant effects of this failure would be felt far beyond the tormented land of Palestine.

Malgré l’absence de suivi de l’action initiée par les autorités britanniques en juin 2024, le caractère dilatoire de la manœuvre britannique explique que, depuis la demande de mandats d’arrêt du Procureur en date du 20 mai, la CPI soit toujours en train d’examiner cette demande.

Ce calendrier peut être comparé au mandat d’arrêt délivré par une chambre préliminaire de la CPI à l’encontre de deux hauts fonctionnaires russes (dont son président) le 17 mars 2023 (voir communiqué officiel de la CPI), précédé d’une requête du Procureur datée du 22 février 2023.

Le cas particulier des États-Unis

En alléguant une prétendue limitation de la compétence de la CPI, Israël a pu s’appuyer sur un document officiel soumis par les Etats-Unis (voir document). La particularité est que ce document émane d’un Etat qui n’est pas partie au Statut de Rome de 1998 instituant la CPI.

Un document visant à restreindre la compétence pénale internationale de la CPI à Gaza a également été soumis par les États européens suivants, qui sont des États parties au Statut de Rome : l’Allemagne (voir document), la Hongrie (voir documentdocument) ainsi que la République tchèque (voir document).

Aucun avis favorable à Israël n’a cette fois été soumis aux juges de la CPI par des États habituellement très sollicités par Israël et la justice pénale internationale : l’Australie, l’Autriche, le Canada, le Guatemala, l’Ouganda et le Royaume-Uni, ainsi que certaines îles du Pacifique (Îles Marshall, Micronésie, Nauru, Palau et Papouasie-Nouvelle-Guinée). Il s’agit d’un petit groupe d’États qui semble généralement voter avec Israël et les États-Unis aux Nations unies et qui n’est pas apparu non plus en décembre 2023 lorsqu’une résolution sur le droit à l’autodétermination du peuple palestinien a été votée à l’Assemblée générale des Nations unies : voir la résolution A/Res/78/192), qui a enregistré 172 voix pour, 10 abstentions et seulement 4 voix contre (États-Unis, Israël, Micronésie et Nauru).

La CPI réaffirme qu'il est urgent d'émettre des mandats d'arrêt dans le conflit entre Gaza et Israël pour d'éventuels crimes de guerre dans la région.

Les paragraphes 16 à 26 du mémoire soumis par les États-Unis (voir document) constituent une tentative – plutôt grossière – de discréditer la requête du Procureur de la CPI sur la base d’une interprétation des dispositions du Statut de Rome auquel les États-Unis… ne sont pas un État partie.

Un État non partie à un instrument international de référence tel que le Statut de Rome… expliquant comment ses dispositions doivent être interprétées par les juges de la CPI ? Comment cela se fait-il ? Le texte est le suivant.

La profonde solitude de l’Argentine

Du côté latino-américain, comme geste notoire de soutien à la thèse juridique pro-israélienne d’une prétendue limitation de la compétence de la CPI dérivée des Accords d’Oslo de 1993, nous trouvons le seul mémoire soumis par l’Argentine (voir document) : Détail intéressant, le document est signé par le chef de la diplomatie argentine, contrairement aux autres mémoires soumis par les États à la CPI, qui sont signés soit par un fonctionnaire diplomatique subalterne d’importance relative (Allemagne, États-Unis, Hongrie, Irlande, Norvège, République tchèque), soit par le Chargé d’Affaires en poste à la légation diplomatique à La Haye (Colombie, Brésil), soit par le représentant diplomatique à La Haye : c’est le cas de la Bolivie, de l’Espagne, ainsi que du document signé conjointement par le Chili et le Mexique (voir texte).

Dans le cas de la République du Congo, le texte est également signé par un ministre : le ministre de la justice.

Les diplomaties argentine et congolaise ont choisi d’envoyer un document de cette nature signé de la main d’un fonctionnaire de rang ministériel, il serait intéressant de connaître les raisons exactes de ce choix.

S’agissant du « support » de l’Argentine en faveur des thèses juridiques favorables à Israël ce mois d’août 2024 (voir document), il faut noter que, dans le cadre d’un exercice similaire, c’est le Brésil en 2020 qui a expliqué que la CPI ne pouvait pas exercer sa compétence en ce qui concerne les exactions commises par Israël dans le Territoire palestinien occupé (voir document signé par un fonctionnaire subalterne) : une “coïncidence” entre le Brésil de Bolsonaro et l’Argentine actuelle de Milei qui mérite d’être soulignée.

Pour rappel, récemment au Brésil, l’existence d’un « cloud » électronique hébergé en Israël et contenant les données personnelles de plus de 30 000 Brésiliens a été découverte (voir nota communiqué de presse de Página12Janvier 2024) : Pegasus et d’autres logiciels qu’Israël a apparemment offerts aux États arabes qui ont accepté de normaliser leurs relations dans le cadre des « Accords d’Abraham » de 2020 (et qui permettent d’espionner et de surveiller les conversations des opposants politiques) – voir note du MERP de 2023 – a également été offert au Brésil du président Jair Bolsonaro. Du point de vue des droits de l’homme, ce rapport de l’ONG Amnesty International analyse le risque que représente le programme Pegasus pour les opposants politiques, les syndicalistes, les journalistes critiques et les activistes en général ou les organisations sociales. En 2022, la même ONG américaine Human Rights Watch a rapporté que son personnel était soumis à une surveillance à l’aide de ce logiciel israélien (voir note).

Pour en revenir à la CPI, à cette occasion (2020), l’argument juridique du Brésil, ainsi que celui de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Hongrie, de la République tchèque et de l’Ouganda, a été rejeté par la Chambre préliminaire dans une décision historique du 5 février 2021, que nous avons eu l’occasion d’analyser à l’époque (Note 3).

En août 2024, l’Argentine est le seul État latino-américain à avoir soumis un mémoire à la CPI pour tenter de favoriser Israël devant les juges de la CPI.

Mentionnons que lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a voté, en mai 2024, une résolution sur les droits de la Palestine en tant que futur État membre des Nations unies, l’Argentine s’est une fois de plus  » démarquée  » en Amérique latine en étant le seul État de la région à voter contre, avec huit autres États : les États-Unis, la Hongrie, Israël, la Micronésie, Nauru, Palau, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la République tchèque (voir notre note intitulée “Palestine : sur la récente résolution sur les droits des Palestiniens en tant que futur État membre des Nations unies” publiée le 10 mai 2024).

En juin 2024, le chef de la diplomatie argentine a indiqué que des « progrès » étaient en cours pour déplacer l’ambassade d’Argentine en Israël de Tel Aviv à Jérusalem (voir note du 24 juin 2024 par LaPolíticaOnLine).

CPI et Israël : vigilance extrême

Notons qu’en mai 2024, un groupe de journalistes en Israël a dévoilé un programme spécifique d’écoute et d’interception des renseignements israéliens dédié uniquement au personnel de la CPI et au contenu de leurs ordinateurs : l’article intitulé “Surveillance et interférence : la guerre secrète d’Israël contre la CPI exposée” publié par Magazine+972 le 28 mai 2024 est une lecture hautement recommandée, dans laquelle on peut apprendre comment, depuis près de 10 ans, Israël surveille constamment la CPI et son personnel.

Parmi d’autres détails, on peut lire que :

The former prosecutor was far from the only target. Dozens of other international officials related to the probe were similarly surveilled. One of the sources said there was a large whiteboard with the names of around 60 people who were under surveillance — half of them Palestinians and half from other countries, including UN officials and ICC personnel in The Hague.

De plus, il est indiqué que pour chaque cas porté à l’attention de la CPI « intercepté« , Israël a préparé des informations détaillées afin de faire valoir ses propres enquêtes internes, tout cela dans le but de pouvoir invoquer le principe de complémentarité devant le Procureur et les juges de la CPI :

If materials were transferred to the ICC, it had to be understood exactly what they were, to ensure that the IDF investigated them independently and sufficiently so that they could claim complementarity,” one of the sources explained. “The claim of complementarity was very, very significant« .

Face à la réprobation générale et au manque de transparence des autorités néerlandaises elles-mêmes (voir note du The Guardian du 31 mai 2024 faisant état d’une initiative d’un législateur), celles-ci ont finalement convoqué les représentants d’Israël dans la capitale néerlandaise pour leur demander des éclaircissements et exprimer leur profonde indignation face à une telle action (voir note du The Guardian, 24 juin 2024) : ce programme israélien d’écoutes et d’interceptions viole les règles les plus élémentaires protégeant les organisations internationales et leurs fonctionnaires dans l’ordre juridique international.

En guise de conclusion

Malgré la gravité des révélations faites depuis Israël par des journalistes israéliens extrêmement bien informés qui ont également révélé l’existence du programme d’intelligence artificielle « Lavender » utilisé à Gaza depuis le 7 octobre (Note 4), le temps mis par les autorités néerlandaises pour procéder à la convocation des diplomates israéliens témoigne d’une certaine résistance au sein de leur appareil d’Etat.

Maintenant que le délai pour les avis juridiques est passé, les trois juges de la Chambre préliminaire de la CPI devraient annoncer dans les prochaines semaines leur décision finale sur la requête du procureur de la CPI du 20 mai concernant deux hauts responsables israéliens (son Premier ministre et son ministre de la défense) et trois dirigeants du Hamas (dont l’un a été assassiné à Téhéran par Israël le 31 juillet).

A noter que le 31 août, le Premier ministre du Sénégal n’a pas hésité à le déclarer publiquement :

Nous avons un Premier ministre (israélien) dont le pouvoir dépend de cette guerre, (dont) la survie politique dépend de cette guerre, et qui est prêt à marcher sur des milliers de cadavres pour rester Premier ministre et pour ne pas faire face à la justice de son pays.

voir note du média français 20minutes du 31 août.

Texte partagé par Nicolás Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : [email protected]


Notes

Note 1 : L’offensive militaire israélienne à Gaza entre le 28 décembre 2008 et le 17 janvier 2009 (voir

Note 2 : Sur la décision de déplacer l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem par le président Cartes au Paraguay en mai 2018, puis la décision du nouveau président Mario Abdo Benitez de la ramener à Tel Aviv quelques mois plus tard, voir notre note : BOEGLIN N., “Décision courageuse du Paraguay de réintégrer son ambassade à Tel-Aviv : une brève mise en perspective”, édité le 11 septembre 2018.

Note 3 : Voir notre note BOEGLIN N., « Cour pénale internationale (CPI)/Palestine : la fin de l’impunité pour les auteurs de crimes de guerre commis en Palestine… », édité le 5 février 2021.

Note 4 : le même groupe de journalistes d’investigation israéliens a porté à la connaissance du monde l’existence du programme d’intelligence artificielle « Lavender » au moyen duquel Israël procède au choix des personnes qu’il élimine à Gaza : voir