Titre original : « Amérique latine face au drame de Gaza : un aperçu des observations envoyées par la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Mexique à la Corte Penal Internacional (CPI) ». Texte rédigé par le professeur Nicolás Boeglin, de la faculté de droit de l’université du Costa Rica.


Le 6 août 2024, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Mexique ont présenté des observations écrites à la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI). Ces dernières font référence à l’annonce faite par le Procureur à la CPI le 20 mai, demandant l’émission d’un mandat d’arrêt à l’encontre de trois dirigeants du Hamas et de deux dirigeants d’Israël : son Premier ministre et son ministre de la Défense.

Il s’agit d’une demande du procureur aux juges de la CPI que nous avons eu l’occasion d’analyser à l’époque (mai 2024) et qui a suscité, en Amérique latine, des objections du Paraguay et – quelques jours après le 20 mai – de la seule Argentine (Note 1).

En ce qui concerne les relations d’Israël avec ces cinq États d’Amérique latine, il convient de rappeler à nos estimés lecteurs que :

  • Le Mexique entretient des relations diplomatiques avec Israël ;
  • La Bolivie a rompu très tôt ses relations diplomatiques avec Israël (voir communiqué de presse officiel du 31 octobre 2023), tandis que ;
  • Le Chili a choisi de rappeler son ambassadeur en Israël pour consultation (voir déclaration officielle) à la même date ;
  • La Colombie a opté pour une décision similaire à celle de la Bolivie le 1er mai 2024 (voir communiqué officiel) ;
  • Le Brésil a retiré son ambassadeur à Tel Aviv le 29 mai 2024 (voir note de France24).

A titre de détail intéressant, il convient de noter que le 26 juin 2004, la presse israélienne a fait état de la possibilité que les mandats d’arrêt demandés par le procureur de la CPI se concrétisent en quelques semaines (voir note du Times of Israel). 24 heures plus tard, les mêmes médias israéliens ont fait état d’une démarche du Royaume-Uni auprès de la CPI pour reporter la délivrance de ces mandats d’arrêt (voir note) : en se demandant si la CPI peut pleinement appliquer sa compétence aux actes commis par Israël sur le territoire palestinien, le Royaume-Uni s’est ménagé un délai supplémentaire.

La CPI sous l’œil attentif d’Israël

Analyse des observations soumises par la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Mexique à la CPI sur le drame de Gaza.
Source : Human Rights Watch

Notons qu’en mai 2024, un groupe de journalistes en Israël a dévoilé un programme spécifique d’écoute et d’interception des renseignements israéliens dédié uniquement au personnel de la CPI et au contenu de leurs ordinateurs : l’article intitulé « Surveillance et interférence : la guerre secrète d’Israël contre la CPI exposée » publié par Magazine+972 le 28 mai 2024 constitue une lecture hautement recommandée, dans laquelle on peut apprendre comment, depuis près de 10 ans, Israël surveille constamment la CPI et son personnel. Parmi d’autres détails, on peut lire que :

The former prosecutor was far from the only target. Dozens of other international officials related to the probe were similarly surveilled. One of the sources said there was a large whiteboard with the names of around 60 people who were under surveillance — half of them Palestinians and half from other countries, including UN officials and ICC personnel in The Hague.

Il indique également que pour chaque cas porté à l’attention de la CPI « intercepté », Israël a préparé des informations détaillées afin de faire valoir ses propres enquêtes internes menées, le tout afin de pouvoir invoquer le principe de complémentarité devant le Procureur et les juges de la CPI :

If materials were transferred to the ICC, it had to be understood exactly what they were, to ensure that the IDF investigated them independently and sufficiently so that they could claim complementarity,” one of the sources explained. “The claim of complementarity was very, very significant.

Face à la réprobation générale et au manque de transparence des autorités néerlandaises elles-mêmes (voir note du Guardian du 31 mai 2024 rapportant l’initiative d’un législateur), les autorités néerlandaises ont finalement convoqué les représentants d’Israël dans la capitale néerlandaise pour demander des éclaircissements et exprimer leur profonde indignation face à une telle action (voir note du The Guardian, 24 juin 2024) : ce programme israélien d’écoutes et d’interceptions viole les règles les plus élémentaires protégeant les organisations internationales et leurs fonctionnaires dans l’ordre juridique international.

Malgré la gravité des révélations faites depuis Israël par des journalistes israéliens extrêmement bien informés, le temps mis par les autorités néerlandaises pour procéder à la convocation des diplomates israéliens témoigne d’une forme de résistance au sein de leur appareil d’État. C’est ce même groupe de journalistes d’investigation israéliens qui a révélé au monde l’existence du programme d’intelligence artificielle « Lavender » par lequel Israël choisit les personnes qu’il élimine à Gaza (voir article publié le 3 avril 2024 dans le média numérique Magazine +972, intitulé « “Lavender” : The AI machine directing Israel’s bombing spree in Gaza »).

L’indicible drame de Gaza

Le dernier rapport des Nations Unies sur la situation à Gaza (en date du 12 août, voir link), rend compte de l’intensité des bombardements sur la population civile de Gaza. Sa lecture détaillée est recommandée pour connaître l’ampleur des opérations militaires d’Israël.

Les chiffres donnés ici peuvent être comparés à la même situation le 5 août 2024 (voir link), dans laquelle il était indiqué que :

Between the afternoons of 1 and 5 August, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 143 Palestinians were killed and 341 were injured. Between 7 October 2023 and 5 August 2024, at least 39,623 Palestinians were killed and 91,469 were injured, according to MoH in Gaza. Moreover, according to the Gaza Government Media Office (GMO) and Palestinian Civil Defense (PCD), there are some 10,000 people reportedly missing or under rubble in Gaza. The MoH documents the full identification details of casualties and has recently published the breakdown of 28,185 out of 37,900 fatalities as of 30 June for whom full details have been documented by MoH (also available on the Health Cluster’s Unified Dashboard here); according to MoH, these reportedly include 9,351 children, 5,320 women, 2,414 elderly, and 11,100 men. The documentation process is ongoing by the MoH. Fatalities include 885 health workers, MoH further reported« .

En ce qui concerne le nombre de morts et de blessés à Gaza, un expert militaire réputé en matière de bombardements a souligné dans un article récemment publié en France, intitulé « Gaza, le bilan “difficile mais essentiel” d’un carnage », que les chiffres de l’ONU sont bien en deçà de la réalité, et quantifie les morts à Gaza depuis la soirée/nuit du 7 octobre 2023 à plus de 80.000 personnes :

Hypothèse basse : 80,000 morts et 15% de la population gazaouie blessée ou tuée

80,000 morts et 280,000 blessés, soit 360,000 victimes de cette guerre (15% de la population) est l’hypothèse basse que j’avance, sur la base d’une estimation des dommages directs des bombardements (bomb damage assessment).
Tsahal, l’armée israélienne, a conduit en moyenne 300 bombardements par jour jusqu’à début juin puis elle aurait diminué son rythme de moitié ce dernier mois, faute de cibles… Avec un trend de 9,000 bombardements par mois (artillerie, missiles et bombes), le bilan sur la durée du nombre de morts est de cet ordre : 9,000 morts / mois avec une réduction au mois de juin, soit plus de 80,000 morts à mi-juillet

Un article intéressant publié en Israël détaille la stratégie de désinformation déployée par Israël pour minimiser et ignorer les conséquences de son action militaire à Gaza dans le monde de l’information et de la communication (voir rapport publié le 24 juillet intitulé « How Israel plans to whitewash its war crimes in Gaza », lecture recommandée). Il est également recommandé de lire en détail ce rapport du Comité pour la protection des journalistes, daté du 14 août 2024, sur les justifications qu’Israël offre à chaque fois qu’il assassine des journalistes à Gaza (voir rapport intitulé : « CPJ denounces Israel’s smearing of killed Palestinian journalists with unsubstantiated “terrorist” labels »).

Pour sa part, la célèbre ONG israélienne B’Tselem a très récemment publié un rapport sur les centres de détention en Israël et les tortures auxquelles sont soumises les personnes originaires de Gaza dans ces centres de détention (voir link le rapport intitulé « Welcome to hell : the Israeli prison system as a network of torture camps », dont le texte intégral est également vivement recommandé).

Observations soumises à la CPI par les États d’Amérique latine en bref

Analyse des observations soumises par la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Mexique à la CPI sur le drame de Gaza.

Alors que le Brésil et la Colombie ont chacun présenté leurs observations dans un document émanant de leurs appareils diplomatiques respectifs, le Chili et le Mexique ont choisi de se mettre d’accord sur une communication écrite conjointe (qui dénote le travail coordonné de leurs appareils diplomatiques respectifs).

Quant à la Bolivie, elle a choisi de signer un texte commun avec le Bangladesh, les Comores, Djibouti et l’Afrique du Sud : il s’agit d’un groupe d’États qui a très tôt soumis une demande urgente (« referral ») à la CPI en date du 17 novembre 2023 (voir texte).

Le document soumis par le Brésil est disponible à l’adresse suivante et sa lecture est recommandée.

Dans le document présenté par la Colombie le 6 août à La Haye (voir texte complet), la Colombie (comme le Brésil) souligne que la compétence de la CPI doit s’appliquer à tous les territoires palestiniens occupés, y compris Gaza, et qu’elle ne peut en aucun cas accepter l’idée que les accords d’Oslo de 1993 limitent ou conditionnent la pleine application de la compétence de la CPI pour examiner, enquêter et punir les responsables d’actes particulièrement graves qualifiés de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par les forces militaires d’Israël.

Au paragraphe 21 de ses observations, la Colombie déclare que :

21. Without a doubt, international norms governing accountability for war crimes, crimes against humanity and genocide, embody peremptory norms of international law accepted as such by the international community as a whole. Because of this high normative statute, States cannot be dispensed from the obligation to comply with these norms based on a bilateral agreement.

Faisant écho à la récente décision de la Cour Internationale de Justice (CIJ) dans son avis consultatif du 19 juillet, que nous avons eu l’occasion d’analyser (Note 2), la Colombie rappelle également que :

23. The International Court of Justice also referred to the Oslo Accords in its Advisory Opinion concerning ïhe Legal Consequences arisingfrom the Policies and Practices of Israel in the Occupied Palestinian Territory, including East Jerusalem, rendered on l9 July 2024.The Court stated that « …the Oslo Accords cannot be understood to detract from Israel’s obligations under the pertinent rules of international law applicable in the Occupied Palestinian Territory.

La référence au récent avis consultatif de la CIJ réapparaît dans un grand nombre d’avis adressés à la CPI au début du mois d’août. C’est sans doute l’un des premiers effets de l’avis consultatif historique de la CIJ du 19 juillet 2024, qui inspirera non seulement les Etats et les juges de la CPI, mais aussi d’autres opérateurs de justice : notamment les juges des juridictions nationales à qui il a été demandé d’ordonner l’arrêt des exportations d’armes vers Israël et des biens et matériels utilisés par Israël pour consolider son occupation illégale du territoire palestinien.

Il s’agit d’un avis consultatif de la CIJ qui appelle déjà de nombreux juristes à exiger une révision complète des relations bilatérales de l’Union européenne (UE) avec Israël (Note 3) et qui devrait inspirer de nombreux autres juristes à exiger une révision similaire dans d’autres parties du monde.

Pour leur part, dans l’avis conjoint publié par le Chili et le Mexique (voir document), les deux États réaffirment également la pleine compétence de la CPI pour examiner la situation dans le territoire palestinien, regrettant les manœuvres du Royaume-Uni et leur effet retardateur (voir paragraphes 7-8) dans l’émission des mandats d’arrêt susmentionnés, demandés depuis le 20 mai par le Procureur de la CPI. Il convient de rappeler qu’en janvier 2024, le Chili et le Mexique ont adressé conjointement un « referral » urgent à la CPI (voir communiqué officiel du 18 janvier 2024 du Chili).

Dans le texte signé par la Bolivie, ainsi que par le Bangladesh, les Comores, Djibouti et l’Afrique du Sud (voir texte complet), la partie conclusive se lit comme suit :

32. The Court has duly defined the territorial scope of its jurisdiction in the Situation in Palestine. The matter is therefore res judicata. To the extent that renewed challenges to the Court’s jurisdiction are made, these must be undertaken in conformity with the Rome Statute. 

33. The Court at present is only required to determine whether arrest warrants may be issued in terms of article 58, the requirements of which have been met. The Oslo Accords are not a bar to the Court exercising its jurisdiction. Any challenge to jurisdiction in individual cases may only be raised in accordance with article 19.

L’étape de la procédure en bref

La communication soumise par la Colombie à la CPI a été précédée par celles de l’Espagne (voir document), de l’Irlande (voir document), ainsi que de la Norvège, soumise le 5 août (voir document complet) qui vont dans le même sens, ainsi que de la Palestine (voir document).

Israël, pour sa part, a choisi de ne pas soumettre d’avis écrit à la CPI.

Le fait que, depuis la ville d’Oslo elle-même, la CPI précise le champ d’application des accords d’Oslo de 1993 en ce qui concerne sa juridiction est tout à fait frappant. C’est probablement ce qui a conduit Israël, le 8 août, à suspendre les permis accordés au personnel diplomatique norvégien accrédité en Palestine, même s’il est officiellement expliqué que cette décision a été prise en raison de la reconnaissance par la Norvège de la Palestine en tant qu’État (voir la note du Jerusalem Post et le cable de Reuters, le 8 août). La réaction officielle de l’appareil diplomatique norvégien ne s’est pas fait attendre : voir le communiqué officiel de la Norvège du 8 août, et le soutien de l’Union européenne (voir communiqué).

En sens inverse, invoquant une prétendue limitation de la compétence de la CPI, Israël n’a pu s’appuyer que sur un document émanant de l’Allemagne (voir document), des États-Unis (voir documentdocument) et la République tchèque (voir document) ; dans le cas des États-Unis, les paragraphes 16 à 26 de leur mémoire constituent une tentative – plutôt grossière – de discréditer la requête du Procureur de la CPI sur la base d’une interprétation des dispositions du Statut de Rome auquel les États-Unis… ne sont pas un État partie.

Israël a également pu s’appuyer sur les points de vue de divers universitaires et organisations qui cherchent à limiter la portée de la justice pénale internationale aux crimes commis par Israël dans le territoire palestinien occupé.

Parmi les avis émanant d’universitaires et d’organisations de défense des droits de l’homme, beaucoup renforcent considérablement les positions du Brésil, de la Bolivie, du Chili, de la Colombie et du Mexique : voir en particulier l’un des premiers avis parvenus à La Haye émanant d’un universitaire américain de renom (voir document), et celui souscrit par deux de ses collègues de longue date (voir document) ; ainsi que l’avis d’une ONG basée à Genève (voir document), celui de deux ONG basées en France (voir document et le même document en français), celui de deux entités basées à Londres (voir document), et celui soumis par deux organisations basées en Egypte et une à Ramallah en Palestine (voir document), parmi de nombreux autres avis. A noter également le document cosigné par Human Rights Watch et Amnesty International ainsi que trois ONG (voir document).

Il convient également de mentionner les 30 experts des droits de l’homme des Nations unies qui ont soumis un avis commun aux juges de la CPI (voir document, dont la lecture et la relecture complètes sont recommandées), et qui concluent en affirmant catégoriquement ce qui suit :

23. The Mandate Holders recognize the Court’s role in ensuring international justice as a critical component of preserving international order through the protection of the interests of victims of international crimes. People around the world, especially youth, advocating for the application of international law, are watching closely, hoping the promises of international peace are not devoid of meaning. 

24. In light of the expert opinions shared in this document, the Mandate Holders urge the Court not to further delay the delivery of justice in the occupied Palestinian territory, through the prosecution of alleged criminals. The significant effects of this failure would be felt far beyond the tormented land of Palestine.

Il est à noter que l’Argentine et la République du Congo figurent sur la liste des entités habilitées à soumettre leur avis à la CPI, sans que le récépissé de leurs écritures respectives ait été enregistré à La Haye (voir liste dans le texte de la décision de la CPI du 22 juillet). Depuis le 13 août, le texte envoyé par la diplomatie congolaise est disponible (voir document). En ce qui concerne l’Argentine, nous avons récemment (mai 2024) eu l’occasion d’évoquer un vote à l’ONU au cours duquel l’Argentine s’est « distinguée » du reste de l’Amérique latine en votant comme Israël, en précisant (Note 4) que :

En sentido opuesto, por vez primera se observa a Argentina unirse a la denominada « coalición » que vota sistematicamente en contra de textos objetados por Israel, a saber: Estados Unidos, Israel, Micronesia, Palau, República Checa, Nauru (Nota 6), a la que se unieron en esta precisa ocasión, Hungría y Papua Nueva Guinea.

Afin d’évaluer comment l’opinion publique israélienne a été informée des nombreuses soumissions écrites à la CPI avant la date limite du 7 août, nous nous référons à cette note du Times of Israel du 9 août, qui ne fait référence qu’à deux d’entre elles.

Une manœuvre britannique abandonnée

Analyse des observations soumises par la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Mexique à la CPI sur le drame de Gaza.

Ce qui est frappant, c’est que cette étape procédurale non envisagée est due à une première manœuvre du Royaume-Uni formalisée le 11 juin 2024, qui a conduit la Chambre préliminaire de la CPI à adopter une décision le 27 juin 2024 accordant un délai pour la soumission des mémoires écrits sur les plaidoiries du Royaume-Uni (voir décision du 27 juin).

Il convient de noter que le paragraphe 7 se lit comme suit :

The United Kingdom requests that the Request be reclassified, because ‘[t]he sensitivity of the situation and the need for secrecy in certain aspects do not mean that this particular Request needs to be secret or confidential’ and asks permission to file its observations, if granted, publicly. The Chamber instructs the Registry to reclassify the Request as ‘public’. The Chamber further agrees that given the matter the United Kingdom wishes to address, its observations may be filed publicly.

Le 1er juillet, le Royaume-Uni a demandé à la Chambre préliminaire de la CPI un délai supplémentaire pour soumettre son avis juridique (voir requête), qui lui a été accordé quelques jours plus tard, le 4 juillet (voir décision).

Ces décisions des trois juges de la Chambre préliminaire de la CPI ont été vivement critiquées dans la littérature spécialisée pour avoir créé un délai inutile qui n’est pas du tout conforme à la pratique de la CPI et à l’urgence de la situation à Gaza (Note 5). Le fait que, dans le cas de la Russie, une Chambre préliminaire de la CPI ait délivré sans autre forme de procès des mandats d’arrêt à l’encontre de deux hauts dirigeants russes (dont son président) pour avoir commis des crimes de guerre sur le territoire de l’Ukraine (voir communiqué officiel de la CPI), est un développement récent (mars 2023) qui ne manque pas d’intérêt.

Cependant, les manœuvres dilatoires initiales du Royaume-Uni ont subi un revers imprévu pour leurs gestionnaires et promoteurs : suite au résultat des élections britanniques du 4 juillet, les nouvelles autorités britanniques n’ont pas jugé nécessaire de poursuivre les manœuvres dilatoires initiales, choisissant simplement de ne pas présenter de plaidoyer sur la limitation alléguée de la compétence de la CPI découlant des accords d’Oslo de 1993 : voir ce note du The Guardian du 26 juillet 2024.

En guise de conclusion

Il convient de noter que dans l’hémisphère américain, Israël n’a pas pu compter cette fois sur un État partie au Statut de Rome de 1998 tel que le Canada, habituellement très conciliant à l’égard des demandes d’Israël, ni sur la contribution du Guatemala. Quant à l’avis juridique envoyé à la CPI par les États-Unis, il soulève des questions très pertinentes de la part d’un État non partie au statut de Rome de 1998. Un État non partie expliquant aux juges de la CPI comment les dispositions du statut de Rome devraient être interprétées ? Comment cela ? Comme on peut le lire.

En Europe, Israël n’a pu compter que sur les efforts des appareils diplomatiques de l’Allemagne, de la Hongrie et de la République tchèque, les autres Etats européens ayant choisi cette fois de ne pas venir soutenir les arguments juridiques en faveur d’Israël : arguments qu’une Chambre préliminaire de la CPI a déjà écartés dans une décision historique du 5 février 2021, que nous avions eu l’occasion d’analyser à l’époque (Note 6).

Aucun avis juridique en faveur des thèses juridiques d’Israël n’est enregistré sur le site de la CPI en provenance d’Etats africains (à l’exception de celui soumis par la République du Congo), d’Asie ou du Pacifique, cette dernière région du monde étant celle où Israël a toujours trouvé des Etats insulaires agissant comme des alliés indéfectibles dans la défense de ses intérêts.

Le 12 août 2024, ce sont les représentants des victimes qui ont soumis leurs observations écrites à la CPI dans quatre textes différents : voir ce soumission écrite et cette opinion, ainsi que ce document et cette communication.

Après avoir reçu les différents avis juridiques de divers États et entités, ainsi que d’universitaires, la Chambre préliminaire de la CPI a fixé au 26 août la date limite à laquelle le Procureur de la CPI devait faire connaître son point de vue sur le contenu de ces avis juridiques (voir décision du 9 août 2024).

Texte partagé par Nicolás Boeglin, Professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : [email protected]


Notes

Note 1 : Voir BOEGLIN N., « Gaza / Israël : sur l’annonce du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de demander des mandats pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité », 20 mai 2024. Texte disponible ici.

Note 2 : Voir BOEGLIN N., « Occupation prolongée et colonisation israélienne illégale du territoire palestinien : notes sur le récent avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) », 19 juillet 2024. Texte disponible ici.

Nota 3 : Véase AL TAMIMI Y, « Implications de l’avis consultatif de la CIJ pour l’accord d’association UE-Israël », EJIL-Talk, 30 de julio del 2024. Texte disponible aquí.

Note 4 : Voir BOEGLIN N., « Palestine : à propos de la récente résolution sur les droits des Palestiniens en tant que futur État membre des Nations unies » 10 mai 2024. Texte disponible ici.

Nota 5 : Véase por ejemplo VASILIEV S., « Fête amicale pendant la peste : Is the Pre-Trial Chamber Losing its Way on the Palestine Arrest Warrant Proceedings? », EJIL-Talk, 1ero de agosto del 2024. Texte disponible aquí.

Note 6 : Voir BOEGLIN N., « Cour pénale internationale (CPI)/Palestine : la fin de l’impunité pour les auteurs de crimes de guerre commis en Palestine? », 5 février 2021. Texte disponible ici
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