Titre original : « A 40 años del atentado de la Penca en Nicaragua : con muchas preguntas sin responder en Costa Rica ». Texte rédigé par le professeur Nicolás Boeglin, Faculté de droit, Université du Costa Rica.


Le jeudi 30 mai, le Costa Rica (et le Nicaragua) ont commémoré le 40e anniversaire de l’attentat de La Penca, au cours duquel quatre journalistes costariciens et étrangers ont été tués et 22 blessés : l’attentat a eu lieu le 30 mai 1984 au cours d’une conférence de presse tenue sur les rives du fleuve San Juan par le commandant de l’ARDE (Alianza Revolucionaria Democrática), Edén Pastora, dans la ville nicaraguayenne de La Penca (voir l’article publié à l’occasion du 29e anniversaire de la CRHoy). En tant que dirigeant de la « contra » nicaraguayenne, son élimination physique à l’époque pourrait avoir été l’objectif des autorités gouvernementales nicaraguayennes de l’époque, ainsi que de celles des États-Unis.

Dans cette vidéo, intitulée « La Penca : le récit d’un survivant », l’un des journalistes costariciens survivants ayant assisté à la conférence de presse d’Edén Pastora au cours de laquelle un engin explosif a été déclenché raconte ce qui s’est passé. L’article publié le 1er juin 1984 par le Washington Post mérite également une relecture détaillée, dans la mesure où, comme cela s’est produit à plusieurs reprises dans l’histoire des États-Unis, un groupe rebelle initialement soutenu en armes et en munitions par les États-Unis … est ensuite soumis à des actions visant à éliminer ses dirigeants.

Bien que les faits se soient déroulés au Nicaragua pendant la période de guerre civile du début des années 1980, les victimes costariciennes survivantes et les parents des défunts ont demandé qu’une enquête soit ordonnée sur ce qui s’est passé, sans recevoir de réponse à leurs différentes demandes.

Le syndicat des journalistes professionnels a également soutenu leurs revendications, sans grand succès. Cette situation a conduit les victimes à se tourner vers le système interaméricain de protection des droits de l’homme qui, 40 ans après les faits, n’a toujours pas réussi à porter l’affaire devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Comment cela se fait-il ? Comme vous l’avez lu.

Les États-Unis et l’attentat de La Penca : entre ombres et ténèbres

En 1990, le Costa Rica a officiellement demandé aux États-Unis d’extrader un ressortissant américain (voir l’article du New York Times), mais les États-Unis n’ont pas réussi à l’extrader. Ce document du ministère américain de la Justice intitulé « G. DEA’s Investigation of Information It Received About Contras or Contra Sympathizers » que le Costa Rica a renouvelé cette demande en 1993 contre cette personne pour l’attentat à la bombe de La Penca :

In March 1993, Costa Rica submitted a renewed request for Hull’s extradition which contained documents indicating that the Superior court in Costa Rica had dismissed the drug trafficking charge against Hull for lack of evidence and that his extradition was no longer sought for that offense. This left the « Hostile Acts » and murder charges against Hull. However, on reviewing the documentation supporting the murder charge, based on Hull’s alleged involvement in the La Penca bombing, the OIA found no evidence of Hull’s involvement in this crime, indeed no evidence that he even knew about the bombing before it occurred.

Dans les lignes qui suivent, le document susmentionné indique que, selon des câbles provenant de diplomates américains accrédités au Costa Rica :

A « comment » by the cable’s author interprets Calderon’s statement as meaning that « On Hull, Calderon is putting us on notice that there’s no way he can turn a request off but is clearly hoping that Hull will not be extradited.

Il convient de noter ce qu’écrit l’un des auteurs d’un livre qui lui a valu, ainsi qu’à son mari, une action en justice pour diffamation de la part du citoyen américain susmentionné, que les États-Unis ont ensuite refusé d’extrader vers le Costa Rica (voir l’article du Washington Post de 1991 intitulé « The man Washington doesn’t want to extradite »), dans cet article publié dans le Tico Times en 2013, lorsqu’elle affirme que.. :

And, during Arias’ tenure, Costa Rica’s Legislative Assembly carried out investigations that implicated North, Hull, the U.S. ambassador and CIA station chief, and others in Contra-related drug trafficking and other “hostile acts” against Costa Rica. Judicial authorities reopened the stalled La Penca investigation, ultimately bringing murder charges against both Hull and CIA operative Felipe Vidal. Both fled the country. 

However, unanswered questions about the La Penca bombing have continued to haunt us.

Comme indiqué, l’auteur a écrit un livre qui a été publié et a immédiatement fait l’objet d’un procès en diffamation qui n’a finalement pas abouti. Le texte intégral est disponible sur ce lien.

Chronologie d’une longue bataille juridique

Cela fait 40 ans que l'attentat de La Penca a eu lieu, un événement tragique qui a laissé des questions sans réponse dans l'histoire du pays.

En septembre 2005, les survivants costariciens et les familles des victimes ont déposé une plainte contre le Costa Rica devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour n’avoir pas enquêté correctement sur cet attentat (voir l’article de La Nación) : ils auraient pu le faire 20 ans plus tôt (1985), mais quelque chose s’est produit de sorte qu’ils ne l’ont pas fait …. ils ne l’ont pas fait.

Dans ce lien de Primera Plana (Colegio de Periodistas de Costa Rica), vous pouvez consulter les détails de l’action intentée en 2010.

En mars 2012, l’action en justice a été étendue aux organes d’enquête de l’État au Nicaragua.

En juin 2013, la Commission a été invitée à inclure certains témoignages trouvés dans des documentaires récents produits sur cette affaire, en particulier des entretiens réalisés par un cinéaste suédois avec des fonctionnaires nicaraguayens (voir le documentaire « Good Bye Nicaragua »).

Il convient de noter que, fin 2013, le ministère public du Costa Rica a clos l’une des lignes d’enquête, lorsque la mort de l’un des ressortissants argentins considérés comme l’une des pistes possibles et le principal suspect de la bombe qui a explosé le 30 mai 1984 a été confirmée à Buenos Aires (voir l’article de La Nación du 3/12/2013). On peut lire (voir l’article de Teletica Canal 7) que :

Jorge Chavarría, fiscalía general de la República, “Se había reactivado la orden de captura en el 2008 a la Organización Internacional de Policía Criminal (Interpol), porque no sabía si había fallecido o no. Ahora ya lo tenemos claro y con eso cerramos esta línea de investigación, vamos a ordenar la cancelación del asiento de la captura internacional que se había dado a Roberto Vital« .

Un article paru le même jour dans la Prensa Libre (Costa Rica) indiquait ce qui suit :

Con base en restos óseos que fueron recolectados luego del asalto al cuartel la Tablada en Argentina, en 1989, que estaban conservados por las autoridades de ese país, se realizaron análisis de ADN. De acuerdo con las conclusiones a las que llegan los médicos forenses de la Corte Suprema de la Nación de Argentina, se establece con un 99,99% de certeza que un grupo de los restos óseos pertenecen a Roberto Vital Gaguine”, afirmó el fiscal general Chavarría.

Alors qu’en 2013 les autorités costariciennes ont annoncé la fermeture d’une ligne d’enquête, il s’avère qu’un article publié dans The Independent (UK) le 1er août 1993 faisait référence à la mort de ce suspect en 1989 en affirmant que :

Gauguine’s family knew nothing of his involvement with La Penca, but others have furnished details of his life: he came from a middle-class family and his ERP nom de guerre was Martin el Inglés. He arrived in Britain in 1978, where he later applied for asylum. By 1980 his whereabouts were again unknown. He will never be brought to justice: in 1989, he died, with 18 others, in a guerrilla attack on an army barracks on the outskirts of Buenos Aires.

Les dix années qui séparent l’article de The Independent et les déclarations du procureur chargé de l’enquête au Costa Rica soulèvent des questions très pertinentes.

En 2017, c’est l’École des sciences de la communication collective (ECCC) de l’Université du Costa Rica qui s’est élevée contre l’absence de progrès par rapport à la plainte déposée en 2005 devant la Commission interaméricaine (voir communiqué de presse).

En 2018, la presse costaricienne a rapporté que la Commission interaméricaine des droits de l’homme avait « accepté » la plainte, mais aucun document officiel n’a été rendu public (voir l’article du Semanario Universidad).

40 ans de La Penca : victimes, presse et citoyens costariciens en attente de justice

Cela fait 40 ans que l'attentat de La Penca a eu lieu, un événement tragique qui a laissé des questions sans réponse dans l'histoire du pays.

Pour le 30e anniversaire de l’attentat de La Penca, le 29 mai 2014, certains députés de l’Assemblée législative ont déclaré devant les caméras soutenir les efforts de l’Association des journalistes costariciens devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme (voir la vidéo).

Le 30 mai 2014, des émissions de radio matinales ont été consacrées au sujet, telles que Hablando Claro par Vilma Ibarra et Boris Ramírez et Nuestra Voz par Amelia Rueda, avec un important matériel multimédia mis à la disposition du public costaricien à l’époque.

Dans le cadre des commémorations du 30e anniversaire, la chaîne 15 de l’Université du Costa Rica (UCR) a présenté le documentaire « Goodbye Nicaragua » (Note 1) du réalisateur suédois Peter Torbiörnsson. Le film, qui comprend des interviews du réalisateur en Bolivie, au Costa Rica, à Cuba, en France et au Nicaragua, a suscité un certain impact et des réactions au Nicaragua lorsqu’il a été présenté en 2011 (voir l’article dans le Semanario Universidad de Costa Rica).

Dans une note publiée sur un portail juridique costaricien, nous avons recueilli cette information et d’autres quelques jours après la commémoration du 30ème anniversaire de l’attentat de La Penca (Note 2).

Le vendredi 30 mai 2014 a également été diffusé le documentaire « La Penca : Onda Expansiva » (voir lien), une production conjointe du Collège des journalistes (COLPER) et de la chaîne 15 de l’UCR, qui comprend des entretiens avec des membres du système judiciaire costaricien chargés de l’enquête (documentaire produit en 2004 pour commémorer le 20e anniversaire).

Dans ces entretiens, il est indiqué que les démarches officielles entreprises auprès des États-Unis pour extrader deux personnes n’ont pas abouti en raison d’erreurs commises par le ministère costaricien des affaires étrangères lui-même dans leur traitement (voir la vidéo, à min 32:27). La même interview indique également que les documents envoyés par les États-Unis aux autorités judiciaires costariciennes sont arrivés …. raturés, rendant impossible la lecture des noms, des lieux et des dates.

Notons toutefois l’existence – en ligne – de cette publication mise en ligne par les services de renseignement américains (voir lien), intitulée « La Penca, Pastora, la presse et la CIA », dans laquelle une multitude de données collectées offrent quelques indices sans pouvoir les corroborer. S’agissant d’une agence de renseignement dont les autorités avaient intérêt, en 1984, à éliminer physiquement Edén Pastora, tout ce qui apparaît sur le site mérite d’être traité avec prudence. Il convient de noter que la dernière partie du document indique : « Approved for release 2010/09/15 ». Cela montre que pendant de nombreuses années depuis 1984, ce document n’a pas été mis en ligne par cette entité, pour des raisons inconnues et qu’il serait très intéressant de connaître. Que peut-il s’être passé en 2010 qui ne se soit pas passé avant, rendant impossible la mise en ligne de cette publication par les services de renseignement américains ?

Un article du New York Times de 1993 indique que :

A Costa Rican prosecutor, Jorge Chaverria, said that he had no plans to withdraw the charges against the two men. His investigation in the late 1980’s found no evidence to point to the Sandinistas, and he said he was not convinced that the Sandinistas alone were behind the bombing.

Pour sa part, le cinéaste suédois, avec son documentaire « Goodbye Nicaragua » présenté en 2011, propose d’écarter définitivement la possibilité qu’il s’agisse d’une action commandée par les services de renseignement américains, et pointe clairement la responsabilité directe de membres de l’appareil de renseignement nicaraguayen dans cet épisode douloureux survenu en 1984, ainsi que le bras exécutant chargé de le mettre en œuvre. Pour les victimes et leurs familles, ce documentaire apporte un éclairage sur les possibles commanditaires de cet attentat.

Un article publié en 2014 sur l’attentat de La Penca fait référence à d’autres décès de journalistes au Costa Rica après 1984, et s’intitule « Le pays des impunités 30 ans après La Penca : Costa Rica ».

En guise de conclusion

Au 30 mai 2024, les enquêtes menées par d’autres entités que les organes d’investigation du Costa Rica et du Nicaragua n’ont pas permis d’identifier les commanditaires de cet attentat : les conjectures de toutes sortes ne sont validées par aucun document judiciaire.

Face aux manœuvres de toutes sortes pour ralentir ou compliquer les enquêtes menées par la justice costaricienne, et aux erreurs de traitement au sein même de l’appareil d’État costaricien, les enquêtes externes menées par les journalistes n’ont pas permis d’aboutir à des conclusions validées par les faits.

Depuis le 30 mai 2104, ainsi que depuis le 30 mai 2014, très peu de progrès ont été réalisés. Le 31 mai 2024, le Rapporteur sur la liberté de la presse dans le système interaméricain a promis de réactiver l’affaire devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, en précisant que cette instance n’a pas été plus efficace dans le traitement de cette plainte qui lui a été présentée initialement en 2005 (voir article du Semanario Universidad) : sauf erreur de notre part, il n’existe aucune trace d’une plainte portée devant le système interaméricain des droits de l’homme qui, en 19 ans, n’ait pas donné lieu à un rapport sur sa recevabilité par la Commission.

En ce qui concerne la Commission interaméricaine des droits de l’homme, il semble, pour des raisons difficiles à expliquer, que ses membres ne savent pas auprès de quel appareil étatique demander des informations sur cette affaire : depuis 2005, sauf erreur de notre part, aucune décision publique n’a été rendue publique concernant ce cas précis. Si la plainte a été initialement déposée contre le Costa Rica, puis étendue au Nicaragua, il n’y a toujours pas de rapport de l’organe interaméricain sur les démarches qu’il a entreprises à l’égard de ces deux États. Et encore moins un rapport sur la recevabilité de la plainte (s’il existe, il n’est pas disponible sur le site web de cet organe du système interaméricain des droits de l’homme).

Dans l’émission Hablando Claro de Vilma Ibarra et Boris Ramírez du 31 mai, on pouvait entendre une longue interview de l’un des survivants de l’attentat de La Penca (voir le lien vers cette émission de radio).

Compte tenu de la souffrance qu’elle a causée aux victimes et à leurs familles, ces 40 années écoulées pourraient bien être l’occasion pour certaines consciences de libérer certains secrets bien gardés, et pour que certains documents classifiés déposés dans certaines ambassades d’Amérique centrale soient enfin déclassifiés : c’est une demande que nous avons eu l’occasion d’exprimer également à l’occasion de la commémoration du 40e anniversaire de la mort de la jeune étudiante Viviana Gallardo, en juillet 2021 (Note 3).

Si ces documents ne se trouvent plus dans ces ambassades, on peut demander à certaines capitales d’ordonner leur déclassification, étant donné le long laps de temps qui s’est écoulé depuis ce funeste 30 mai 1984 : il s’agit là de démarches diplomatiques que tout État peut entreprendre auprès d’un autre État dans lequel il soupçonne l’existence d’informations susceptibles de faire la lumière sur une question d’intérêt public. En ce sens, la levée des ombres et des doutes qui persistent au Costa Rica sur l’attentat de La Penca est une question d’intérêt public.

À moins que l’impunité avec laquelle certains, tant au Costa Rica qu’à l’étranger, semblent entretenir cet épisode tragique, ne finisse par s’imposer avec le temps.

Texte partagé par Nicolás Boeglin, professeur de droit international public, Faculté de droit, Université du Costa Rica (UCR). Contact : [email protected]


Notes

Note 1 : La bande-annonce du documentaire « Goodbye Nicaragua » est disponible  ici. La dernière partie du documentaire (partie 3), sous-titrée en espagnol, est également disponible sur Youtube et disponible ici.

Note 2 : Voir BOEGLIN N., « El Atentado de la Penca 30 años después : conmemoración y preguntas sin responder », DerechoalDía, édition du 5 juin 2014. Texte disponible ici.

Note 3 : Voir BOEGLIN N, « On the 40th anniversary of the murder of Viviana Gallardo in Costa Rica : brief notes », 1er juillet 2021. Texte disponible ici.